Laura, à la recherche de l’espoir
Prologue
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=eIqxHpK97m4Qu’est-ce que l’espoir ? Un sentiment permettant d’avancer et de se surpasser ? Une illusion s’éteignant au fur et à mesure que notre rêve prend fin ? Une malédiction ne laissant que ruine et désolation derrière elle une fois que l’espoir a disparu ? Moi-même je n’ai jamais eu la réponse. Et pourtant, je l’ai cherchée. Longtemps, je me suis accrochée à ce que j’appelais un espoir, mince, éphémère, pouvant se briser à tout instant.
Je savais que je poursuivais une chimère, que mon rêve ne pouvait pas se réaliser, que tout ce en quoi je croyais n’était rien d’autre qu’une création de mon propre esprit. Et pourtant, j’ai désiré aller jusqu’au bout de ce rêve pour une seule et unique raison : je savais qu’une fois réveillée, jamais plus rien ne serait comme avant et que, tout ce qu’il resterait de ces années de bonheur illusoire ne serait que le vide. Je refusais de voir la réalité en quelque sorte.
Cependant, peut-être m’étais-je toujours mal posé la question. Peut-être cherchais-je une réponse à une question qui n’avait pas lieu d’être. Peut-être passais-je à côté de ce qui était le plus important pour moi.
La question que j’aurais dû me poser à ce moment-là n’était pas de savoir ce que je recherchais, mais pourquoi je courais après une chose que je ne connaissais même pas. Pourquoi avais-je besoin de rattacher à cet espoir que je ne pouvais même pas définir à tout prix ?
Néanmoins, il y a une chose dont j’étais sûre : ce jour-là, lors de ce tournoi, alors que j’avais affronté ce garçon qui semblait perdu et désorienté, pour la première fois, j’avais eu la sensation d’avoir trouvé ce qu’il me manquait. C’est en voyant ce dont il avait besoin que j’avais pu comprendre à quel point nous étions similaires tous les deux et j’avais pris exemple sur lui, recherchant ainsi désormais l’espoir, sans même savoir pourquoi, simplement parce qu’il avait l’air heureux en croyant en ce sentiment dont j’ignorais tout… Tout en pensant à toutes ces choses, je contemplai ce coucher de soleil que j’avais si souvent vu ces dernières années pour la dernière fois. Comme toujours, il était magnifique. Voir l’astre rougeoyant plonger dans une mer de feu et disparaitre lentement pour faire place à la lune m’apaisait et ce jour-là encore, je comptais bien en profiter jusqu’au bout.
Tout était calme, comme toujours sur la falaise. Ce petit coin de terre était mon endroit, ma base secrète, le seul endroit où je savais que je n’allais jamais être dérangée.
Dan était hors d’état de nuire, je savais que la relève allait être assurée même après mon départ et je ne m’inquiétais pas de ce détail. J’avais envoyé des lettres à mes amies pour les prévenir et nos valises étaient faites, prêtes à être embarquées. Il ne me restait désormais plus qu’une chose à faire, chose que j’avais désespérément repoussée jusqu’au dernier moment…
Je souris légèrement lorsque j’entendis des pas sur les cailloux derrière moi et la respiration saccadée de mon ami mais je ne me retournai pas tout de suite, serrant contre mon cœur ce qui allait être mon ultime cadeau.
Je ne voulais pas partir… Je voulais rester avec lui, que nous continuions à nous amuser tous les deux, à remettre Dan à sa place, à rire à l’école pour toujours, et pourtant, après avoir détourné le sujet pendant longtemps, je fus obligée de prononcer ces quelques mots qui scellèrent mon destin :
« Prends soin de toi Darksky… Et adieu… »
Puis je disparus de sa vie et lui de la mienne. Du moins, je le croyais…
Laura : Un nouveau départ
Spoiler :
J’étais seule, dehors sur le pont du bateau, recroquevillée dans un coin à l’abri du vent empli de sel de la mer. Il faisait froid et une pluie fine s’abattait sur la coque métallique du navire, mais je m’en fichais. Je me sentais vide à l’intérieur. Mon regard sans vie fixer inlassablement un petit bout de papier froissé que je tenais fermement entre mes mains. Tout était calme. Le bruit du bateau avançant sur les flots et le clapotis des vagues se fracassant avec violence sur la coque étaient les seuls sons que l’on pouvait entendre. Ce que je ressentis à ce moment-là, je ne l’avais plus ressenti depuis ma rencontre avec mon meilleur ami, en y repensant. C’était vraiment grâce à lui que j’avais pu prendre un nouveau départ et oublier tous mes tracas liés au travail de mes parents. J’avais toujours été si seule. Je ne faisais que cacher mon mal derrière un faux sourire, mais, lorsque je l’avais affronté pour la première fois dans ce tournoi, pour la première fois, j’avais réussi à vraiment apprécier les combats. Sur le bout de papier, quelques mots avaient été griffonnés à la lueur de la pleine lune qui perçait timidement à travers les nuages de pluie. Il s’agissait d’un poème, comme une déclaration d’amour mielleuse et remplie de bons sentiments. Je souris bêtement en lisant les premières lignes. En temps normal, je me serais bien moquée de lui si j’avais trouvé ce poème un jour dans la cour de l’école ou dans son bureau. Mais ce soir-là, seule sur le pont de ce bateau, mon cœur battait la chamade en pensant que Darksky avait écrit ces mots pour moi… « J’ai toujours cru que nous pourrions ainsi rester Amis et partenaires pour toute l’éternité Mais ce n’était rien d’autre qu’une hallucination, Un doux, tendre, long, chaud, beau rêve. Une illusion… » Puis, aux gouttelettes de pluies sur mon visage vinrent s’ajouter des larmes chaudes et remplies de regrets. « Si seulement je pouvais juste croire aux miracles, Darksky… Je réécrirais l’histoire… je ferais tout pour te montrer une toute autre personne que l’égoïste que tu as connue et je te dirais les mots que je n’ai jamais pu te dire… » ** https://www.youtube.com/watch?v=9E6b3swbnWg Une douce mélodie résonnait dans la salle du conservatoire. La nocturne de Chopin numéro deux en mi bémol majeur. Cela faisait plusieurs mois que je la travaillais pour mon propre plaisir. Malheureusement, jamais je n’avais pu la faire écouter à celui à qui je l’avais dédiée. Mais je ne perdais pas espoir qu’un jour, Darksky puisse l’entendre. C’est pourquoi, je continuai à la travailler inlassablement.
La mélodie était lente, douce, apaisante, harmonieuse, comme un murmure d’amour. Puis rapidement, lorsque la seconde partie arrivait, elle devenait plus forte, plus brutale, plus puissante, comme un cri venant du fond de l’âme, le désir impossible de rester éternellement avec l’être chéri.
Alors que mes doigts dansaient sur le clavier, je m’imaginais, chez moi, jouant ce morceau avec comme seul public Darksky qui m’écoutait d’une oreille attentive au coin du feu. Aurait-il été impressionné ? M’aurait-il trouvée prétentieuse ? Aurait-il compris le message que j’essayais de lui faire passer à travers cette mélodie ? Aurait-il été touché par ma musique comme je l’avais touché avec mon style de combat ?… Je l’ignorais. Et je ne le saurais sans doute jamais, pensais-je.
Le rythme s’accéléra, comme les battements de cœur d’un dernier adieu et lentement, la mélodie principale revint avant de disparaitre lentement dans le silence de la note finale.
Je restai plusieurs secondes, figée sur cette dernière touche, les yeux rivés sur le clavier, lorsque des bruits de pas me tirèrent de mes pensées.
Je levai la tête pour saluer chaleureusement la personne qui venait d’entrer. Il s’agissait de Théodore Miller, mon nouveau partenaire de musique qui m’accompagnait au violon. C’était un garçon roux, assez frêle, même légèrement plus petit que moi, aux yeux marrons et au visage très enfantin. Au début de l’année, mon professeur lui avait demandé d’être mon tuteur pour m’aider à découvrir les locaux, mais rapidement, nous nous étions trouvés une affinité commune pour la musique. Il n’avait pas énormément d’amis dans la classe, et moi non plus d’ailleurs puisque je m’étais attiré les foudres du garçon le plus populaire de l’école dès mon arrivée. C’est pourquoi, en bon parias, nous nous étions rapprochés et nous jouions désormais ensemble au conservatoire.
Il n’était pas bien bavard, ni même spécialement sympathique, mais il était excellent violoniste et il semblait m’apprécier.
Après un bref échange, il s’installa à mes côtés et nous nous mîmes à répéter le Rondo Capriccioso, comme chaque semaine désormais, en vue du concours national qui arrivait à grands pas. Personnellement, je n’étais pas intéressée par la récompense qui était une place au conservatoire Berklee, à Boston. Pire, je détestais passer des auditions de piano. L’ambiance qui y régnait m’avait toujours dégouté. Mais, lorsqu’il m’avait proposé cela, pour la première fois, j’avais vu des étoiles scintiller dans les yeux du garçon à l’idée de pouvoir étudier là-bas. C’est pourquoi, je m’impliquais autant que possible pour qu’il puisse réaliser son rêve.
Même si j’essayais de me convaincre que je faisais une bonne action, si je participai à ce concours, c’était aussi pour briser l’ennui qui s’était installé dans ma vie. Le quotidien était monotone, sans aucune surprise. Les cours, le conservatoire, la nostalgie, et ce, dans un cycle semblant sans fin. Ce concours était pour moi une occasion d’avoir un nouvel objectif dans ma vie. Car oui, ma nouvelle vie en Angleterre était plutôt tranquille. Nous habitions dans une petite bourgade du nom de Belfort, à quelques kilomètres de Londres, mais néanmoins très calme et fleurie. Nous avions tous les avantages de la capitale sans les inconvénients.
La maison dans laquelle nous avions emménagée avait été construite par mon arrière-grand-père paternel, avant que mon grand-père ne franchisse la Manche. C’était une grande bâtisse un peu à l’écart, entourée d’un grand parc dans lequel j’aimais me perdre durant la journée. L’intérieur était spacieux, digne d’un petit manoir en France, sans toutefois être extravagant.
Grâce à son nouveau poste en tant que directeur de la branche anglaise d’Ether, mon père avait eu les fonds nécessaires pour rénover la demeure familiale, si bien que, même sous ses aspects vieillots, nous possédions tout le confort moderne.
Nous avions également un majordome du nom d’Arnold. Même si ce type s’était occupé de mon père dans sa jeunesse, il ne m’inspirait que peu confiance. Quelque chose dans ses yeux cachés derrière d’épais verre ronds et sombres me dérangeait, mais je n’arrivais pas à mettre la main dessus.
A l’école, mon frère ainé, Arthur, s’était parfaitement intégré. Un peu trop même. Il était devenu leader de son groupe d’amis et ne revenait souvent que tard le soir. Son entrée au lycée ne lui avait pas fait que du bien…
Quant à moi, quand je ne répétais pas pour notre concert, je préférais rester seule, perdue dans mes souvenirs. Il fallait dire qu’avoir remis à sa place la brute de l’école, un certain Marc, dès mon premier jour n’avait pas aidé à me faire accepter. Mais je m’en fichais. A Ronchin-sur-mer, déjà, je ne supportais pas de voir Dan faire sa loi. Ce n’était pas parce que j’avais changé de pays que mes habitudes allaient changer elles aussi.
Malheureusement, même si j’appréciais Théodore, nous ne partagions pas le même lien qu’avec Darksky. Nous étions amis, mais pas complémentaires. Nous n’étions liés que parce que nous jouions tous les deux d’un instrument. Et encore, son rêve à lui était de devenir violoniste professionnel, alors que moi, je ne faisais du piano que pour m’amuser et passer le temps puisque je n’avais plus de Spiritual depuis que j’avais cédé Trichiona.
Je tentai plusieurs fois d’écrire des lettres à Darksky, mais elles finirent toutes de la même façon : inachevées sur mon bureau, froissées en boulettes de papier et je me résolus à abandonner, espérant qu’il fasse le premier pas. Après une bonne heure à nous entrainer sans dire un seul mot et en ne laissant parler que nos instruments, nous mîmes fin à cette dernière répétition avant le grand jour. J’étais plutôt satisfaite de notre performance. Nous jouions en harmonie et, même si notre morceau manquait peut-être un peu d’émotions, le jury ne pouvait pas nous retirer de point sur notre respect de la partition que nous exécutions à la perfection.
Je bus une grande gorgée d’eau, puis tournai mon regard vers mon partenaire, un large sourire aux lèvres.
« On se débrouille pas trop mal, déclarai-je avec entrain.
— Ça peut aller, oui, grommela Théodore avec son habituelle sympathie. Même s’il y a encore des passages que j’aimerais retravailler.
— Vraiment ? Pour moi, ton jeu est déjà parfait, je ne vois pas ce que tu pourrais améliorer à part te dandiner sur place pour faire semblant d’y mettre du cœur, ris-je.
— Très amusant. Mais je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il nous manque… quelque chose. Quand je vois des grands violonistes, il y a quelque chose dans leur musique que je n’ai pas…
— La prétention ?
— De l’assurance, peut-être, marmonna-t-il plus pour lui que pour moi. Je me demande bien comment tu fais pour avoir l’air toujours aussi détendue quand tu joues au piano.
— Moi ? Je pense à autre chose, voilà tout, déclarai-je en haussant les épaules.
— C… Comment ? répéta mon partenaire, interdit. Et tu arrives à jouer comme ça sans même être concentrée sur ton jeu ?
— Ce n’est pas que je ne suis pas concentrée. Au contraire, penser à autre chose me permet de me plonger dans le morceau. Ne crois pas que je pense au gâteau au chocolat qui est dans le four ou à des équations de maths, hein ! Mais quand je joue, je m’imagine toujours une scène qui pourrait aller sur la mélodie. Si je voulais être prétentieuse et faire semblant de connaitre la musique, je dirais que je vis ce que je joue au lieu de suivre mécaniquement la partition comme une machine.
— Je vois… Peut-être que je devrais moi aussi me détacher dans ce cas…
— Si tu veux un conseil de ma part, tu dois trouver ce que la musique représente pour toi, ce que tu veux qu’elle transmette comme message. Si ton seul but est de la jouer, le public entendra certes un joli morceau, mais ne ressentira rien de nouveau. La musique est un art que tu dois faire vivre. La partition ne fait pas tout. Tu te dois d’y apporter quelque chose, ta touche personnelle si tu veux.
— Je crois que je comprends… Ça te dérangerait de recommencer encore une fois, Laura ?
— Avec plaisir ! »
Sur ces belles paroles, alors que le conservatoire fermait ses portes, nous continuâmes à jouer jusqu’à la tombée de la nuit. Ainsi, nous ne le quittâmes qu’une fois le morceau parfaitement maitrisé, sur le plan technique et émotionnel.
En rentrant chez moi, je n’avais qu’une seule hâte : être dimanche pour montrer à tous ces membres du jury grincheux le fruit de notre entrainement peu conventionnel.
Laura : Rêve
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=ygur5AaVzgAMon réveil sonna aux aurores et me réveilla en douceur en ce dimanche matin. Après être restée encore quelques minutes dans mon lit, l’esprit totalement embrumé, je m’étirai et baillai un bon coup pour me donner de l’énergie, puis passai mon regard par la fenêtre. Le ciel était bleu azur et il n’y avait pas un seul nuage à l’horizon. Le temps idéal pour remporter un concours et aller le fêter sur les rives de la Tamise.
Prenant quelques affaires, je partis me préparer dans la salle de bain. Ce jour-là, j’avais décidé de faire les choses au mieux. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’une occasion pareille se présentait. Il fallait que je marque le coup.
Après avoir pris une bonne douche et m’être coiffé, j’enfilai un élégant tee-shirt blanc à dentelles, ainsi qu’une jupe courte assortie et un collant sombre. Ce n’était pas dans mon habitude, mais je m’attachai également les cheveux avec une barrette, sachant déjà que ma coiffure n’allait pas tenir toute la journée sans cela.
Finalement, après une bonne heure de préparation, je sortis de la salle de bain rassemblai quelques affaires dans un petit sac à dos, dont le poème de Darksky que j’emmenai où que j’aille, ainsi que divers autres accessoires qui aurait pu me servir avant de descendre au rez-de-chaussée.
Il n’était encore que neuf heures du matin, ce qui me laissait un gros délai avant de devoir rejoindre Théodore. Je pris donc mon petit déjeuner sans me presser, l’esprit ailleurs, à tel point que je ne remarquai même pas Arnold pour une fois. Etrangement, je n’étais pas stressée. J’étais sereine, totalement détendue alors que quelques heures plus tard à peine, j’allais jouer devant des centaines de personnes, et surtout devant mes parents qui ne voulait pas rater une telle prestation.
Lorsque dix heures sonnèrent, je sortis de la maison et enfourchai mon vélo pour prendre la direction du conservatoire afin de réviser une dernière fois notre prestation.
La ville était toujours assez calme, mais le dimanche, personne ne semblait réveillé avant midi, si bien que toutes les rues étaient désertes, à l’exception de quelques promeneurs matinaux. Ainsi, n’ayant pas à me soucier des autres voitures, je pus prendre tout mon temps pour arriver, profitant de la température idéale et de la brise légère qui soufflait en cette belle journée de printemps.
Vers one heure et demi, j’arrivai enfin devant l’école après m’être perdue à force de déambuler. Sans surprise, Théodore était arrivé lui aussi et était adossé à la grille de l’école avec son éternel air peu avenant. C’était étrange de le voir sans son uniforme et avec des vêtements tout à fait classiques et soignés, à savoir un élégant costume noir au-dessus d’une chemise d’un blanc immaculé, ainsi qu’une cravate bleu marine.
Je m’arrêtai juste devant lui. Lorsqu’il leva la tête vers moi, il rougit aussitôt et détourna le regard.
« On dirait qu’aucun d’entre nous n’est capable de respecter l’heure dite ! lançai-je en guise de salutation.
— A… Apparemment, oui, bégaya-t-il.
— Alors, prêt pour le grand jour ?
— C’est ce que l’on verra une fois sur place, me répondit-il en commençant à s’éloigner.
— Comme tu voudras, je te suis ! M’exclamai-je avec entrain. »
Sans ajouter un mot, nous prîmes le même chemin que quelques mois plus tôt. Comme je m’y attendais, Théodore ne parla que peu et ce fut à moi de faire la conversation, une fois de plus. Cependant, je vis que quelque chose avait changé dans son attitude ce jour-là. En effet, pour la première fois depuis que je le connaissais, il semblait m’écouter et être intéressé par ce que je racontais. Pire encore, il me posa quelques questions pour réagir à mes propos.
Lorsque nous arrivâmes au conservatoire, nous poussâmes la lourde porte menant à la salle de concert. Comme à chaque fois que je mettais les pieds dans l’amphithéâtre principal, je fus impressionnée. Si le bâtiment avait, de l’extérieur, des allures pittoresques, il renfermait en son sein l’une des plus sublimes salles de concert que je connaissais. Elle pouvait bien accueillir plus de trois-cents personnes. Le style était moderne, assez géométrique, mais pas laid pour autant. Les tons de couleur, passant par toutes les variations de bleu possible, étaient assez apaisants et donnait l’impression de baigner au milieu de l’océan, loin de toute distraction et tout bruit autre que la musique qui s’échappait de la scène pour venir caresser les oreilles des spectateurs, telle le murmure de la brise sur un bateau.
Lorsque je posai mes yeux sur ladite scène, j’y aperçus un piano à queue blanc, parfaitement ciré et luisant sous les feux des projecteurs braqués sur lui. Théodore déglutit en s’imaginant certainement des centaines de regards braqués sur lui dans quelques heures à peine, mais pour le rassurer, je lui donnai une grande tape amicale dans le dos.
« Allez, tout va bien se passer, on a répété tout le mois ! l’encourageai-je. Et puis, sur scène, on ne voit personne, donc détend toi et tout ira bien.
— Parle pour toi. Tu n’as rien à perdre dans ce concours, alors que moi…
— Toi, tu as tout à gagner, non ? Alors, monte sur scène et montre-moi ce que tu sais faire ! »
Sans lui laisser l’occasion de protester, je le pris par le bras et l’entrainai sur l’estrade. Je m’installai au piano sans même savoir si j’avais vraiment le droit, puis je me mis à jouer. Avec un soupir, mon partenaire me rejoignit pour répéter une dernière fois notre morceau.
Comme prévu, nous étions parfaitement en harmonie l’un avec l’autre. Nous suivions à la lettre la partition, sans aucune erreur. Nous étions fins prêts pour l’événement.
C’est avec cette idée rassurante en tête que nous nous arrêtâmes une heure plus tard pour la pause déjeuner. Nous nous installâmes dans notre loge, là où nous devions patienter en attendant la fin des autres prestations, et je sortis un sandwich préparé le matin même.
« En fait Théo, pourquoi est-ce que tu tiens tant à devenir musicien professionnel ? lançai-je tout en mâchant mon déjeuner.
— Un violon, lui, ne ment pas… me répondit-il évasivement. La musique, elle, n’a pas besoin de mot pour parler. On peut dire qu’elle a été ma seule compagne pendant plusieurs années.
— Comment ça « la seule » ? répétai-je, sceptique. Tu ne vas quand même pas me dire que tu n’as jamais eu aucun ami !
— Si… mais plus maintenant que j’ai déménagé… murmura-t-il en regardant son verre d’eau d’un air nostalgique.
— Tu as déménagé ? Je l’ignorai…
— C’était il y a deux ans. Je vivais en Amérique, mais mes parents ont dû se rendre en Angleterre pour leur travail. Enfin, ce n’est pas une histoire intéressante.
— Au contraire, je suis étonnée que tu te comportes ainsi en classe si tu as eu des amis par le passé. Tu n’as donc pas envie de t’en faire de nouveau ?
— Tu peux parler toi. Tu traines avec l’asocial de la classe, je te rappelle, rétorqua Théodore en haussant les épaules.
— Oui, mais moi je me suis mise Marc à dos dès mon arrivée. J’imagine que ça a scellé ma réputation, ris-je légèrement.
— Eh bien, tu as ta réponse pour mon cas aussi, dit mon ami en baissant les yeux.
— Tu… T’es battu avec Marc ? m’étranglai-je. Toi, monsieur deux de tension ?!
— Je n’ai pas deux de tension, je n’aime pas l’agitation, c’est tout, grogna Théodore. Et non, je ne me suis pas battu, je me suis fait écraser, c’est différent. »
Je ne sus pas quoi répondre à cela. Je ne voulais pas avoir l’air de le prendre en pitié alors que j’avais battu cet idiot de Marc les mains dans les poches, mais je ne pouvais pas non plus rire de sa situation ou même faire comme si ce n’était pas grave. Je sentis alors un malaise grandir entre nous tandis que nous ne dîmes rien pendant plusieurs secondes. Ce fut finalement Théodore qui reprit la parole.
« Enfin, c’est du passé maintenant. Ce qui est arrivé est arrivé, on n’y peut rien, c’est comme ça. J’ai juste changé mes habitudes à la suite de cet incident.
—Alors, il est temps de les changer à nouveau, tu ne penses pas ? finis-je par lui répondre avec un large sourire.
— Tu veux que j’aille défier à nouveau Marc pour me faire battre lamentablement une seconde fois ? Railla-t-il.
— C’est une possibilité oui… mais non. Laisse-moi m’occuper de ça !
— Ne te préoccupe pas de moi. Ce n’est pas la peine d’aller défier Marc pour cette histoire…
— Mais je n’ai pas dit que j’allais faire ça, rétorquai-je. Mais, depuis qu’on se connait, tu n’as plus peur de parler aux autres malgré Marc, n’est-ce pas ? Du moins, tu me parles à moi ! »
Un léger sourire se dessina sur le visage de Théodore et il haussa à nouveau les épaules.
« J’imagine que j’ai plus peur de toi que de lui dans ce cas. »
Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire en entendant cela. Je ne savais pas s’il était ironique ou sérieux, mais dans les deux cas, sa remarque était ridicule. Je mis deux bonnes minutes avant de retrouver mon souffle et j’eus mal au ventre à force de rire.
« Dans ce cas, si tu as si peur de moi, je t’ordonne de donner tout ton possible cet après-midi et de remporter ce ticket pour réaliser tes rêves !
— Plus facile à dire qu’à faire, grommela-t-il. Nous avons de sérieux concurrents, je ne suis pas certain que… »
Sans le laisser terminer, je lui mis mon sandwich sous le nez et le fixai avec un air si déterminé qu’il baissa les yeux.
« On va remporter la victoire. Je te le promets. »
Oui. C’était une promesse. Tout comme j’avais sorti Darksky de ses tourments, je comptais redonner à Théodore les rêves qu’il avait perdus.
Je finis en vitesse mon maigre repas et très vite après, les auditions commencèrent. Alors que mon partenaire faisait les cents pas dans la petite pièce, relisant frénétiquement ses partitions, j’étais plus concentrée sur les prestations des autres. Évidemment, je savais que ce n’était pas la meilleure chose à faire, mais j’étais si confiante en nos capacités, tout comme lorsque je combattais avec mon Spiritual, que j’étais fair-play et je ne m’accordai pas un temps de révision supplémentaire.
Il y avait du challenge parmi les autres concurrents, particulièrement ce violoniste venu de Tokyo du nom de Nishijima Kosei. Tout comme moi, il était le fils d’un des dirigeants d’Ether et je l’avais souvent aperçu lors de grandes réunions, mais nous ne nous étions jamais parlés réellement.
Puis, enfin, vint notre tour de passer. Théodore tremblait de la tête aux pieds et suait à grosses gouttes alors que nous avancions vers cette scène où nous avions passé tant de temps à répéter lui et moi. Petit à petit, je sentais mon cœur s’accélérer aussi dans ma poitrine lorsque je découvrais le public devant lequel nous allions jouer.
Tout était comme dans mes souvenirs lointains. À part ma famille et Théodore, ici, personne n’était mon ami. Les gens venus ici n’étaient pas là pour encourager de nouveaux talents, mais pour éliminer ceux qui manquaient de potentiel. Le monde de la musique était cruel contrairement à ce que pensait Théodore. Une seule erreur et c’était la porte. Mais ça, je m’étais bien retenue de lui dire, lui qui semblait déjà si fragile mentalement.
Nous saluâmes un public qui nous accueillit de façon mitigé – il fallait dire que le favori était clairement ce Kosei – puis je m’installai devant ce piano qui, ce jour-là, me parut bien plus immense qu’à l’accoutumé. https://www.youtube.com/watch?v=hCsB3WtlyaM Il n’y avait plus un bruit. Seul le craquement de mon siège et les battements de mon cœur retentissaient jusqu’à mes oreilles. Cette salle, d’ordinaire si accueillante et familière, comme un bateau voguant tranquillement sur les flots, semblait s’être changée en un navire pris dans une tempête, balloté par les vagues au rythme du sang qui tambourinait dans mes veines.
Je pris une grande inspiration. Mon esprit se vida. Je m’imaginai, non pas dans cette salle de concert devant des centaines d’yeux perfides, mais dans une plaine, immense, seule avec mon piano, jouant pour Darksky, lui montrant les progrès que j’avais faits pendant toutes ces années. Puis j’entamai les premières notes.
J’effleurai les touches, aussi délicatement que la brise caressant mon visage, tandis que les notes de Théodore vinrent me rejoindre, avec autant de douceur. Lentement, je me laissai aller dans ce monde que je m’imaginai, loin de mes tourments et de mon ennui actuel. Puis tout à coup, le rythme s’accéléra brutalement alors que je mettais plus de puissance dans mon doigté. Le violon de Théodore gagna également en force et rapidement, une sorte de bataille s’engagea entre nous. Nous n’étions subitement plus deux partenaires de musique, mais deux adversaires. Peut-être jouais-je trop fort ? Peut-être jouais-je trop vite ? Peut-être mettais-je trop d’émotion dans mon toucher ? Je l’ignorais. Je voulais simplement rester dans cette rêverie que je m’étais créée pour échapper à la pression des yeux jugeurs du public.
Darksky m’observait. Je devais donner le meilleur de moi-même, lui montrer celle que j’étais devenue. Et j’eus pleinement l’occasion de le faire lors de mon solo. Je n’effleurais plus le clavier, je le martelais, aussi fort que je le pouvais. Je voulais que, là où il se trouvait, mon ami de toujours m’entende. Même si une mer nous séparait, mon espoir était qu’il sache que, malgré la distance, je pensais à lui.
Lorsque le violon reprit, reprenant soudain conscience de la réalité, je ralentis mon jeu et me rendis compte de mon erreur fatale. Pendant ces quelques secondes d’inattention, j’avais brisé l’harmonie de notre duo. Cela se lisait sur les regards du jury et du public. J’avais joué hors du tempo et avais obligé Théodore à accélérer pour me suivre, entraînant des fausses notes et un jeu chaotique de sa part.
Je tentai tant bien que mal de rattraper mon erreur, mais il était trop tard. Le mal était fait. La note était déjà attribuée. Et, alors que nous devions entrer dans la deuxième partie du mouvement et que le violon reprenait une partie solo, je vis Théodore allonger excessivement une note, avant de détacher l’archet des cordes et de baisser les yeux.
Le public était dans l’expectative. Je gardai la main au-dessus des touches, prête à reprendre, mais ce fut inutile. Mon partenaire salua la grande salle sans montrer la moindre émotion et s’éclipsa en courant.
Abasourdie, je quittai la scène tout aussi vite que lui et lui courus après. Il sortit par une porte dérobée et finis par le rattraper au détour d’une ruelle adjacente. Je l’attrapai par le bras pour le retenir et il n’opposa aucune résistance.
Je me sentais mal. Je savais que j’étais fautive. À cause de moi, le rêve de la seule personne qui m’avait accordé un peu d’intérêt depuis mon arrivée venait de s’effondrer. Tout ça parce que je m’étais laissée emporter par la nostalgie et mes espoirs vains.
Le garçon avait la tête baissée et me tournait le dos, mais je pouvais sans difficulté deviner l’état dans lequel il se trouvait à présent. https://www.youtube.com/watch?v=raqSzfKVFVA « Je… Je suis désolée… balbutiai-je maladroitement. Je… Le jury m’a fait perdre me moyens et…
— C’est bon… j’ai compris… Ce n’est pas grave, me répondit-il d’une voix monocorde. C’est moi qui suis stupide. Je n’aurais pas dû avoir autant d’espoir le jour où tu m’as proposé de jouer ensemble. Je viens simplement de me réveiller…
— Ce n’était qu’un concours ! rétorquai-je, désespérée. Tu auras certainement encore plein d’occasions de…
— Tu l’as dit toi-même, Laura… Devenir pianiste professionnelle ne t’intéresse pas. Je l’ai bien vu aujourd’hui…
— Non… Ce n’est… pas ça…
— Désolé d’avoir pris ton temps avec mes histoires. Je ne te forcerai plus à jouer avec moi.
— Non… C’est moi… qui suis désolée d’avoir brisé ton rêve… »
Sans ajouter un mot, Théodore se dégagea de mon emprise et s’éloigna. Dans un ultime espoir de le retenir, je m’écriai :
« On… On se voit demain, hein ?! »
Le garçon ne me répondit toujours rien et disparut dans l’obscurité, me laissant seule devant le conservatoire, serrant mon sac à dos contre mon cœur et sentant quelques larmes couler le long de mes joues en réalisant que je venais de perdre quelque chose de bien plus précieux que je ne le pensais…
Une fine pluie se mit à tomber et l’obscurité se fit de plus en plus présente en même temps que les lampadaires de la ville s’allumaient et diffusaient une faible lumière jaunâtre à moitié étouffée par les gouttelettes d’eau rebondissant l’infrastructure. La température avait chuté brutalement et mon souffle formait à présent une légère fumée qui se dissipait rapidement.
Je restai là, debout au milieu d’une foule d’inconnue, immobile, trempée jusqu’aux os, frigorifiée et pleurant pendant plusieurs minutes, à la fois détruite et tiraillée entre le désir de retrouver Théodore et celui de tenir ma promesse à Darksky. Pour la première fois, une pensée affreuse me traversa la tête et ma main trembla contre mon cœur tandis que je me mis à regretter d’avoir participé à ce tournoi, des années plus tôt.
« Et si… Et si je n’avais jamais Darksky… Si je n’avais jamais trouvé Trichiona… Si j’avais su apprécier ma vie comme elle était… Aurais-je été heureuse ? murmurai-je en levant les yeux au ciel. »
Aucune étoile ne brillait au-dessus de ma tête. Seuls d’énormes nuages noirs d’orages déversaient une pluie torrentielle et froide tandis que le tonnerre grondait au loin et que quelques éclairs déchiraient ce ciel sombre pendant que la foule se dissipait peu à peu jusqu’à ce que je fusse totalement seule au milieu de cette avenue qui, quelques instants plus tôt, grouillait encore de vie et de joie.
Soudain, je ne sentis plus les gouttes de pluie tomber sur ma peau et le bruit caractéristique de l’eau tombant sur un tissu tendu juste au-dessus de moi monta descendis jusqu’à mes oreilles.
Je me retournai lentement et je distinguai dans la pénombre du soir le visage souriant de mon frère tenant un parapluie pour le protéger.
Je n’étais même pas étonnée de le voir. Je n’étais plus d’humeur à plaisanter avec lui ou me prendre la tête. Je voulais simplement me réveiller de ce mauvais rêve que j’étais en train de vivre.
« Il est temps de rentrer, tu ne crois pas, Laura ? me dit-il d’une voix douce en me prenant par l’épaule. »
Je ne répondis rien et continuai à fixer droit devant moi le chemin que Théodore avait pris pour rentrer, l’esprit vide de toute pensée.
Nous restâmes encore là sous la pluie, tous les deux, sans bouger, pendant plusieurs minutes, ne me rendant même pas compte que mon frère n’était pas protégé de la pluie battante, lui. Puis, après un long silence, Arthur reprit la parole.
« Il reviendra, déclara-t-il d’un air confiant.
— Je ne sais pas quoi penser… avouai-je en secouant la tête.
— Lui non plus j’imagine, me répondit mon frère en haussant les épaules. Laisse-lui simplement un peu de temps. Il n’y a rien d’autre que tu puisses faire désormais. »
Je serrai à nouveau le poing et me mordis la lèvre, maudissant ma propre bêtise. Encore une fois, j’avais agi sans réfléchir et par ma faute, parce que je lui avais donné un espoir vide de sens, tout comme j’avais détruit Darksky en refusant de lui dire la vérité plus tôt, je venais de blesser mon seul et unique ami dans cette ville.
Sans dire un mot de plus, nous rentrâmes à la maison, mon frère et moi, sous cette pluie battante et froide, laissant derrière nous l’animation et les rires de la ville pour nous enfoncer dans la campagne silencieuse qu’était notre petite ville à l’écart du monde.
Laura : Solitude
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=raqSzfKVFVA Les jours qui suivirent, Théodore ne vint pas en cours et je me retrouvai totalement seule dans la classe, avec pour uniques voisins une chaise et un bureau vides. Je tentai bien de le contacter par l’intermédiaire des professeurs, mais aucun n’eut de réponse, comme s’il s’était volatilisé dans la nature. Même au conservatoire, personne n’avait de ses nouvelles.
Ainsi commença une longue période d’errance pendant laquelle je ne vivais plus que pour tenir ma promesse à Darksky. Ces mots que nous avions prononcés sur la falaise ce jour-là étaient la dernière chose qui me poussai à avancer malgré tout, mon dernier espoir, la dernière chose que je ne pouvais pas abandonner, peu importe les obstacles à présent qu’à cause d’elle, j’avais tout perdu.
Après une semaine passée ainsi, je pouvais le dire sans hésitation : je détestais cette ville. Elle était pleine de souvenirs que j’aurais préféré oublier. Ma vie se résumait à me lever le matin, aller à l’école, manger seule dans mon coin, écouter les cours et rentrer chez moi avec comme unique but celui d’un jour retourner à cet endroit que j’aimais tant. Ce cycle se répétant encore et encore… N’y avait-il aucun moyen pour m’en échapper ?
La maison était peut-être le seul endroit où je me trouvai à ma place, entourée de ma famille. Là, je n’avais pas besoin de penser à toutes ces choses désagréables qui me hantait. Je pouvais tout simplement vivre, oubliant mes soucis et mes tracas qui revenaient aussitôt la maison quittée.
Théodore revint finalement en classe après une semaine d’absence, mais continua à se tenir loin de moi, m’ignorant totalement malgré mes tentatives désespérées pour renouer contact avec lui. Même les remarques de mon professeur principal ne lui faisaient plus rien. C’était comme s’il m’avait effacé de sa vie, comme si pour lui, je n’existais plus. Ainsi, ma motivation finit par s’essouffler elle aussi et, après un mois, nous étions redevenus deux inconnus l’un pour l’autre.
Les jours passèrent, puis les mois, et même trois ans, sans que je m’en aperçoive, perdue dans le monde que je m’étais créé, rejetant la vraie vie. J’étais comme un fantôme dans cette école, et, paradoxalement, Marc était le seul de la classe qui me rappelait que j’étais bien présente et visible aux yeux de tous lorsqu’il me jouait de mauvais tours comme me prendre mon gouter ou déchirer mes devoirs. Cependant, je l’ignorai la plupart du temps, et donnai une bonne raclée à ses acolytes lorsque j’étais de mauvaise humeur.
Pendant des vacances d’été, mon père nous ramena dans cette ville où j’avais grandi et pour la première fois depuis longtemps, mon cœur se remit à battre la chamade. J’étais persuadée que j’allais retrouver Darksky après tout ce temps et que tout allait s’arranger. Cependant, j’eus beau faire le tour de la ville, je ne le trouvai ni au parc, ni à la falaise et encore moins chez lui.
Durant notre dernier jour de vacances, je crus distinguer quelqu’un lui ressemblant de dos de l’autre côté de la rue alors que je m’apprêtais à rentrer à l’hôtel, mais, au moment où je voulus le rejoindre, le feu passa au vert et un défilé de voiture m’empêcha de traverser, laissant le temps à ce garçon de disparaitre à l’angle de la rue, détruisant ainsi mes derniers espoirs de revoir Darksky.
La routine reprit, de même que l’ennui et la solitude. Plus l’année avançait et plus mes espoirs d’être en mesure de tenir ma promesse s’amenuisaient. Je n’avais qu’une envie : mettre fin à tout ça. Je rêvai de partir à l’aventure, découvrir de nouvelles choses, voir de nouveaux horizons, fuir cette routine qui m’accablait et me détruisait lentement.
J’envisageai vraiment cette possibilité à un moment. J’avais même préparé une lettre d’au revoir à ma famille, mais je me résignai au dernier moment. C’était au-dessus de mes forces et stupide. Je n’aurais pas été capable de survivre plus de deux jours dans la nature sans mes parents…
Ainsi, la routine se poursuivit, encore et toujours, jusqu’au jour où Marc débarqua un soir dans la classe, accompagné de ses quatre abrutis d’acolytes. J’avais l’habitude de rester seule après les cours, le regard perdu à travers la fenêtre et ces idiots avaient dû le remarquer. Cependant, je n’eus aucune réaction lorsqu’ils s’approchèrent de moi, l’air menaçants. Même lorsque le leader frappa ma table de son poing, je restai impassible, ne détachant pas mon attention de lu paysage à l’extérieur.
« Eh bien, eh bien, Laura, où sont passées tes fanfaronnades du premier jour ? railla-t-il en me dévisageant d’un air sévère. Ce n’est pas trop dure d’être tout le temps seule maintenant que ton « ami » t’a abandonnée ? Tu sais, si tu nous avais rejoints, tu n’aurais pas eu à subir tout cela…
— Peut-être… mais j’aurais perdu mon intelligence en échange donc j’imagine que je n’ai pas fait le mauvais choix, lui répondis-je sans conviction.
— Tu as la langue bien pendue, cela ne m’étonne pas que tu n’aies aucun ami… grimaça la brute.
— Je préfère être seule qu’entourée de gens comme toi, rétorquai-je sèchement. »
Cette phrase fut visiblement celle de trop et Marc s’empara alors de mon sac. Je me levai pour le lui reprendre de force, mais ses gorilles me retinrent par les manches. Je n’eus aucune difficulté à me débarrasser d’eux, mais cet instant pendant lequel je les envoyai valser me fut fatal. Marc avait trouvé le poème de Darksky dans mon sac et le tenait dans ses mains.
Je m’arrêtai net et mon poing se serra tandis que je sentais la colère monter en moi.
« R… Rends-moi ça ! lui ordonnai-je en me contenant.
— C’est un bien joli poème que tu as là ma chère, railla-t-il.
— Je te préviens… Si tu touches à ça, tu vas le regretter amèrement, le menaçai-je d’une voix glaciale.
— Et qui va m’en empêcher ? Toi ? Si tu fais ne serait-ce qu’un pas de plus, tu peux dire adieu à ce ridicule bout de papier. »
Je crus que j’allais exploser, mais un bruit de pas dans le couloir détourna notre attention et nous nous retournâmes tous les deux pour voir Théodore rentrer dans la classe. J’eus à ce moment un infime espoir qu’il vint à mon secours, mais ce dernier se contenta de rentrer, passer devant nous sans même faire attention à Marc ou à moi puis repartit sans dire un mot après avoir pris une feuille dans son casier.
La brute de la classe éclata de rire en voyant cela.
« Sérieusement, je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais tu dois être encore pire que moi pour qu’il t’ignore de la sorte ! s’exclama Marc entre deux éclats de rire.
— Je ne t’ai pas demandé ton avis, grimaçai-je. Alors maintenant, rends-moi ce poème ! »
Je me précipitai sur lui pour lui arracher la feuille des mains, mais le garçon poussa une table entre nous pour me stopper dans ma course puis, m’adressant un large sourire carnassier, il déchira en deux le dernier présent que Darksky m’avait fait.
Alors que je voyais les deux bouts de papier s’éloigner l’un de l’autre, je sentis mes souvenirs avec Darksky se briser en même temps pour disparaitre peu à peu. Mais aucune larme ne me vint cette fois-ci. Je ne ressentais de la haine à l’état pur envers lui et Théodore qui avait refusé de m’aider. Une haine telle que je ne pouvais plus la contenir plus longtemps et je la laissai exploser.
« Très bien, tu l’auras voulu Marc, je vais te le donner ton combat si c’est ce que tu veux ! hurlai-je tandis que tout mon corps était envahi d’une énergie nouvelle.
— Voilà ce que je voulais entendre ! Que dirais-tu de demain ? Comme ça, toute l’école va pouvoir assister à ton humiliation !
— Pourquoi attendre demain ? Réglons ça tout de suite ! »
Je me mis en position de combat, prête à en découdre, mais Marc celui mit les mains dans les poches et sortit de la salle en riant, accompagné de ses acolytes.
« Rejoins-moi devant big Ben si tu veux te battre. Nous aurons plus de place. »
Hors de moi et rouge de colère, je ramassai en vitesse les deux bouts de papier trainant sur le sol et les remis soigneusement dans mon carnet avant de me lancer à la poursuite de Marc.
Comme promis, je le retrouvai devant la grande tour de l’horloge, sur une grande place dégagée, à quelques mètres de la tamise et, comme je l’avais imaginé, il n’était pas seul, mais entouré de plusieurs hommes ressemblant à des mafieux. Mais ma rage était telle que je passai outre ce détail et je m’avançai sans trembler vers Marc qui me regardait avec amusement.
Je m’arrêtai à quelques mètres de lui et nous nous dévisageâmes en mode western. Le regard que je lui lançai à ce moment-là fut suffisant pour dérouter ses amis, mais les brutes qui se tenaient à côté de lui sourirent tout en jetant leurs cigares par terre.
« Tu es vraiment stupide ma pauvre Laura. Tu vois que tu n’as aucune chance et pourtant, tu te jettes tête la première dans mon piège ? J’ai attendu ce jour depuis si longtemps… Je vais te faire payer pour l’humiliation du premier jour !
— Tu parles trop, et en plus tu me l’as déjà dit !
— Tu vas voir, bientôt tu vas me supplier d’arrêter tes souffrances ! » https://www.youtube.com/watch?v=h8qg-XzHgUk Pour toute réponse, je mis mes mains dans les poches et je lançai un regard assassin aux hommes de main. J’ignorai comment il avait réussi à engager ces types, mais ils ne me faisaient pas peur. Je n’avais qu’une seule idée en tête : me venger de Marc, même si pour cela je devais affronter une mafia entière du haut de mes douze ans.
Les hommes firent craquer leurs doigts, sans doute pour tenter de m’impressionner, mais cela ne me fit aucun effet.
Je sentis alors un afflux d’énergie au plus profond de moi, comme si ma colère nourrissait tous mes muscles et accroissait mes capacités. Mes cheveux se mirent à crépiter et je crus même qu’un vent se prenait naissance autour de moi.
En poussant un cri de guerre, l’un des hommes de main de Marc se jeta sur moi, le poing en avant mais, comme si mon corps bougeait de lui-même, j’esquivai aisément l’attaque en faisant un simple pas sur le côté. Marc écarquilla les yeux devant ma réactivité hors norme. Mon adversaire ne se laissa pas démonter et repassa à l’assaut. Une fois de plus, j’esquivai aisément sans même sortir les mains des poches avant de me décider à contre attaquer. Alors que l’homme me tournait le dos, je sautai au-dessus de lui et, rassemblant toutes mes forces, je lui assénai un violent coup de pied dans le torse. Cependant, je n’avais pas prévu une chose : mon attaque fut bien plus puissante que je ne le pensais et l’homme vola quatre mètres plus loin avant d’être stoppé par un muret.
Je vis Marc s’étrangler de là où il était et les autres mafieux grimacèrent.
« Eh gamin, tu ne nous avais pas dit que nous allions devoir affronter une super Saiyen, déclara l’un d’eux.
— Ce… Ce n’est qu’un coup de chance ! rétorqua-t-il, furieux. Vous n’allez quand même pas vous faire battre par une fillette de douze ans !
— Comme si cela pouvait arriver. »
Sur ces mots, tous les hommes de main de Marc m’attaquèrent en même temps, sortant battes, matraques et même couteaux. Mais une fois de plus, je ne fus nullement impressionnée et je me contentai d’esquiver, comme lisant parfaitement leurs mouvements.
Ainsi, je déviai un coup de matraque simplement avec ma main, faisant glisser l’arme le long de mon bras avant d’asséner un violent coup de coude à mon adversaire qui s’écroula au sol, inconscient.
Un autre tenta alors de me donner un coup de couteau dans le dos, mais, le sentant arriver j’attrapai son bras sans même me retourner et le forçai à lâcher son arme.
Au même moment, un troisième fonça sur moi avec sa batte de baseball, mais, rapide comme l’éclair, je ramassai la matraque qui trainait au sol et la lui envoyai en plein figure et il s’étala par terre de tout son long.
Le visage du chef du gang se décomposa et ce dernier sortit de sa poche un pistolet luisant tout en tentant de sourire malgré la peur que je lui inspirai désormais.
Dans mon inconscience, ma seule réaction fut de me tourner vers lui, lâchant l’homme que je tenais et de faire face au chef avec un calme tel qu’il me terrifia moi-même tandis qu’il pointa son arme vers moi.
« A… Attendez, je ne vous ai pas dit de la tuer espèces d’abrutis ! hurla Marc, effrayé.
— Je ne sais pas qui tu es gamine… mais personne ne tient tête à mon gang, et encore moins une enfant, grogna le chef d’une voix peu assurée.
— Ecartez-vous, lançai-je alors d’une voix bien plus grave qu’a l’ordinaire, comme si ce n’était pas moi qui parlais.
— Tu vas regretter de t’être opposée à nous. Adieu ! »
L’homme appuya sur la détente de son arme, mais je ne tressaillis pas. Je me contentai de me pencher légèrement sur le côté et je sentis la balle me frôler avant d’aller se planter dans un arbre derrière moi.
Un passant hurla de peur et ce fut rapidement la panique générale autour de nous mais ni moi, ni l’homme ne nous laissâmes déstabiliser et je continuai à lui faire face, impassiblement.
Lentement, je me mis alors à me rapprocher de lui, évitant tous ses tirs de la même façon. C’était comme si le temps était ralenti et que je pouvais clairement deviner la trajectoire des balles pour mieux les éviter.
C’était étrange. Tout mon corps était en ébullition. Une sorte d’aura bleutée s’était formée tout autour de moi. L’air s’était également subitement refroidi et je vis quelques cristaux de glace sous mes pieds avant de réaliser que j’en étais l’origine.
Alors que je n’étais plus qu’à quelques mètres de l’homme, un sourire mauvais passa sur sa figure et il se jeta sur moi, l’arme en avant.
« C’est terminé ! »
Je vis le pistolet à quelques centimètres de mon front, puis j’entendis le bruit d’un coup de feu. A ce moment-là, une épaisse brume grisâtre recouvrit entièrement la place.
Quand elle se dissipa, le visage de l’homme s’était décomposé. Non seulement, j’étais indemne alors qu’il avait tiré à bout portant, mais en plus le canon de son arme avait gelé et les pieds de l’hommes était également collés au sol par une épaisse couche de glace autour de ses chaussures.
Sans aucune émotion, je passai à côté de lui et me plaçai à moins d’un mètre de Marc dont le visage était désormais livide. Le garçon tremblait de tous ses membres et de grosses gouttes de sueur perlaient de son front.
Je fronçai les sourcils et celui-ci tomba à la renverse avec un cri de terreur, puis rampa jusqu’à être acculé, dos à la grande tour.
« Je… Je rigolai, Laura ! S’il te plait, ne me fais pas de mal ! couina-t-il en se protégeant la tête avec les bras. »
Sans même l’écouter, et laissant toute ma rage s’extérioriser, je lui assénai un coup de poing dans le ventre si violent que la brute en perdit connaissance et s’effondra sur le sol.
Au même moment, toute l’énergie qui affluait en moi se dissipa et je retrouvai mes esprits, me rendant soudain compte de la situation dans laquelle j’étais. Aussitôt, ma colère se transforma en peur.
Je reculai prudemment, tremblante en regardant la scène déplorable qui se tenait à mes pieds, les yeux exorbités. Je me mis à avoir peur de moi-même, comme si, au fond de moi, se cachait une part bien plus sombre de ma personnalité dont j’ignorais tout, une part aimant se battre et trouvant de la satisfaction dans la victoire et l’écrasement de mes adversaires.
Je voulus partir le plus loin possible de cet endroit en réalisant cela, traverser la mer et rejoindre Darksky, lui seul m’aurait comprise, mais je savais bien que ce n’était pas possible. J’étais seule pour affronter ce que je vivais en ce moment.
Les sirènes de police ne tardèrent pas à se faire entendre, mais, alors que j’allais m’enfuir, je vis une haute colonne de fumée au loin et je compris qu’il ne s’agissait pas de la police, mais des pompiers.
Je restai un instant pour analyser l’origine du feu et mon sang se glaça dans mes veines.
« Non… C’est impossible… murmurai-je, terrifiée. »
L’origine de ce feu… Il correspondait exactement à l’emplacement de notre maison…
Sans perdre une seconde plus, je laissai Marc et les mafieux sur place et je fonçai vers Bellford, espérant me tromper en sachant pertinemment que j’avais raison.
« Papa… Maman… Arthur… Pitié… Soyez sains et saufs… »
Laura : Sombre vérité
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=0GcX-HDyUwk Une vision d’horreur s’offrait à moi. Le manoir, ma demeure, était en proie à d’immenses flammes violettes qui ravageaient tout sur leur passage. Le toit s’était déjà effondré et le feu attaquait à présent le parc, autrefois si verdoyant, mais aujourd’hui si sombre suffoquant.
Devant la porte d’entrée, entouré d’une dizaine d’homme portant des capes rouges cachant leur visage, se tenait une personne dont le visage me donna des frissons. Il était le portrait craché de Ricky Sawyer, l’homme qui était à l’origine du Purple Requiem selon Ether. Mais c’était impossible. L’homme avait péri durant la catastrophe, bien avant ma naissance, alors que celui qui se tenait devant moi n’avait pas pris une ride par rapport à son visage que l’on pouvait trouver dans les archives de la fédération.
« V… Vous… murmurai-je, la voix étouffée par la peur. »
L’homme se tourna vers moi et je pus voir dans son œil un amusement malsain alors qu’il regardait ma maison brûler et que sa main était entourée d’une inquiétante aura rougeâtre.
« Laura… Garden, n’est-ce pas ? déclara-t-il d’une voix lente et terrifiante.
— Mais… Vous… Vous devriez être mort depuis vingt-cinq ans… bégayai-je en continuant à reculer lentement.
— J’ai bien peur que tu me confondes avec mon très cher père. Laisse-moi me présenter correctement : mon nom est Éric Sawyer, je suis le leader du mouvement ESPer.
— Qu… Qu’avez-vous fait à mes parents ? lui demandai-je d’une petite voix.
— Je n’ai fait que régler une petite affaire, mais les négociations ne sont pas passées comme prévues alors j’ai forcé les choses, me répondit Sawyer en haussant les épaules. »
J’ouvris la bouche, mais aucun son n’en sortit. Je ne savais plus quoi faire. Alors que je reculai, je trébuchai sur un caillou et tombai à la renverse, me retrouvant à la merci de l’homme et ses sbires.
« Cependant, j’ai une mission : je dois ramener l’émissaire de Gariatron à mon maitre. N’y vois en aucun cas une vengeance personnelle. »
Le dénommé Sawyer s’approcha de moi. Je voulus fuir, mais mes membres ne me répondaient plus. J’étais paralysée par la peur, incapable de faire le moindre mouvement.
Dans un geste désespéré, je lançai sur l’homme ma paire de clés tout en visant ses yeux, mais je tremblai tellement que mon geste n’eut pas plus d’effet que si je lui avais lancé une simple feuille de papier. Je sentis les larmes me monter aux yeux.
Non, tout cela ne pouvait pas être vrai. Ce n’était qu’un mauvais rêve et j’allais me réveiller… D’abord le poème de Darksky, et maintenant ça. Ce n’était pas possible, tout n’était qu’illusion et tromperie ! Je refusais d’y croire !
Fermant les yeux et me recroquevillant sur moi-même pour échapper à la réalité, je ressentis alors le même afflux d’énergie que précédemment et, à nouveau, la température chuta brutalement.
L’homme s’arrêta net, surpris tandis que, tout autour de moi, l’herbe se mit à geler, comme si mon corps était si froid qu’il absorbait toute la chaleur de la terre. Rapidement, le froid s’intensifia et une véritable couche de glace se répandit sur la pelouse, faisant reculer mes agresseurs.
« Dégagez… Dégagez… Dégagez ! hurlai-je. »
Un vent violent et glacial se leva alors, m’entourant totalement comme un bouclier, et un tourbillon de neige se forma entre moi et ces hommes, les obligeant à reculer toujours davantage. Je vis Sawyer grimacer, mais il ne se laissa pas déstabiliser. D’un geste de la main, il projeta deux boules de feu dans ma direction qui firent fondre instantanément ma protection, me laissant sans défense et totalement apeurée.
« Il semblerait que tu aies déjà développé tes pouvoirs, mais cela ne changera rien, tu ne peux rien contre moi et… »
Mon ennemi ne put terminer sa phrase car, sortis de nulle part, deux couteaux fusèrent dans sa direction. L’homme eut tout juste le temps de faire un bond en arrière pour les éviter.
Abasourdie, je tournai la tête dans la direction d’où provenait l’attaque. Je vis mon majordome, blessé, les habits déchirés et l’air à bout de forces, mais bien vivant.
« A… Arnold ! m’écriai-je, heureuse pour la première fois de le voir.
— Fuyez Mademoiselle Laura ! m’ordonna-t-il en lançant une nouvelle attaque sur Sawyer qui l’esquiva aisément.
— Mais… Je…
— Ne discutez pas ! Partez d’ici, tout de suite ! Je m’occupe du reste ! »
Une aura sombre entoura soudain le pyromane. Je vis son œil virer au rouge tandis que les flammes consumant le manoir s’intensifièrent. Comme porté par une force invisible, l’homme s’éleva quelques mètres au-dessus du sol et un arbre se déracina tout seul à côté de mon majordome avant de s’abattre sur lui.
Ce dernier sauta sur l’une des branches et à partir de là, d’autres arbres se mirent à léviter et furent projetés sur lui.
Tremblante, je me remis debout, constatant au passage les dégâts causés par la glace et tentai d’attaquer à nouveau Sawyer en lui lançant un caillou, mais mon projectile se figea dans les airs à quelques centimètres de la tête de mon ennemi qui me lança un regard noir.
« Petite Peste, je vais m’occuper de toi, tu vas voir. »
D’un geste ample avec son bras, il fit surgir du sol un énorme rocher avec un sourire malsain sur son visage.
« Va rejoindre ta famille, fille de glace ! Psycho… »
Sawyer fut à nouveau interrompu par Arnold qui s’était jeté sur lui pendant qu’il avait le dos tourné et qui le coula au sol.
« Vivez ! m’ordonna-t-il d’une voix désespérée. »
Serrant le poing et, n’écoutant plus que mon instinct de survie, je m’enfuis dans la forêt, laissant derrière moi Arnold, ma famille et ma maison aux griffes de cet homme assoiffé de sang.
Un flash de lumière illumina le ciel sombre du soir puis un cri de douleur déchira les cieux, mais je ne me retournai pas et continuai à courir en ligne droite, la vision à moitié obscurcie par les larmes, ne sachant même pas pourquoi je fuyais et où je me dirigeais. https://www.youtube.com/watch?v=dj4VoPO-2pE Je courus ainsi, toujours plus loin, toujours plus vite, fonçant à travers la forêt obscure jusqu’à trébucher sur une racine et m’étaler sur le sol dur et sec et je restai là, face contre terre, continuant à pleurer autant de peur que de désespoir.
De l’aide. Je voulais simplement de l’aide. Je voulais que quelqu’un vienne à mon secours, que quelqu’un retourne éteindre cet incendie. Que quelqu’un sauve ma famille…
Comme prise de folie, je me mis à appeler au secours toutes les personnes que je connaissais : Darksky, Théodore, Dan et même Marc avant de me rendre à l’évidence : j’étais seule et livrée à moi-même.
Papa. Maman. Arthur. Arnold. Je ne savais même pas s’ils étaient encore en vie et je n’osai pas faire demi-tour, de peur de rencontrer cet homme au regard et aux pouvoirs terrifiants…
Que me voulait-il ? Pourquoi nous avait-il attaqués ? Qui était-il ? Qu’allais-je faire à présent ? Tant de questions se bousculaient dans ma tête, mais je n’étais obnubilée que par un seul but : celui de rester en vie.
Peu importe les sacrifices, les maux et les obstacles, je devais vivre à tout prix. J’avais promis… J’avais promis à Darksky de revenir le voir. J’avais déjà perdu mon bonheur, mon meilleur ami et ma réputation dans l’unique but de réaliser son vœu et de nous retrouver sur cette falaise qu’était la nôtre un jour, je ne pouvais pas abandonner maintenant. Et puis, mes parents ne m’auraient jamais pardonnée si j’étais allée au suicide en revenant en arrière pour faire face à cet homme.
Un picotement me parcouru l’échine et je sentis mon cœur ralentir. Rassemblant mes forces, j’agrippai la terre sous mes ongles et me remis debout tant bien que mal.
Un rictus déforma ma figure lorsque je m’appuyai sur ma cheville tordue, mais je ne fléchis pas et gardai la tête haute tout en essuyant les larmes qui coulaient de mes yeux d’un revers de la manche puis je me mis à regarder droit derrière moi en direction de mon manoir.
Ma famille allait bien. Je devais le croire. Je devais faire confiance à Arnold. Je devais aller de l’avant… Car je ne pouvais plus faire marche arrière désormais. Je devais uniquement fuir cet homme sinistre, comme me l’avait ordonné notre majordome, aller toujours plus loin et ne jamais me retourner, pas avant d’avoir réalisé mon objectif.
Une dernière larme coula le long de mes joues avant de cristalliser en une magnifique perle de glace qui se brisa en mille éclats en touchant le sol. ** Il me fallait de l’aide. Je devais comprendre ce qu’il m’arrivait. Dans mon sac, je ne possédais que mes affaires de cours, un peu d’argent, et un goûter. Ma première idée fut de fuir très loin, mais je me ravisais devant cette réalité. Je n’étais pas équipée pour entamer un grand voyage.
J’aurais bien pu tenter de rentrer en France et de me réfugier chez Darksky, mais cela aurait impliqué de prendre le bateau en tant que passagère clandestine et, par extension, m’exposer à être débarquée et renvoyée chez moi, dans les griffes de cet homme.
Ma seule option était donc de me rendre au quartier général d’Ether, non seulement pour bénéficier de leur protection, mais également pour savoir ce qui était arrivé à ma famille. Mon père en était le président, ils avaient forcément des informations quant à sa disparition. https://www.youtube.com/watch?v=e_C2DqC4kR8 Avec cette idée en tête, je contournai soigneusement la ville pour ne pas retomber sur ce type et pris la direction de Londres. Dès je fus à la capitale, je fonçai vers Big Ben qui abritait le siège de la fédération en son sein. Comme je pouvais m’en douter, des hommes encapés gardaient l’entrée. Cependant, cela ne m’arrêta pas. Si l’entrée principale à la chambre du parlement était inaccessible, je connaissais un autre moyen d’accéder au bureau de mon père.
En effet, en passant par les couloirs du métro londonien, il était possible de pénétrer, via un réseau de souterrains complexes, jusque dans les caves du parlement. Evidemment, les portes étaient, pour le citoyen lambda, condamnées, mais mon père m’avait fourni un passe d’accès « au cas où » comme il disait si bien lui-même. Jamais je n’aurais cru un jour m’en servir…
Une fois à l’intérieur de ce qui était autrefois l’horloge emblématique de la ville, je m’assurais que personne n’avait pénétré les lieux avant moi, puis, furtivement, je me rendis au dernier étage, juste derrière l’immense cadran visible depuis toute la ville.
Qui se serait douté que, au-delà de ses apparences vieillottes, Big Ben hébergeait l’un des bureaux les plus modernes du monde ?
Je n’étais pas souvent venue ici, mais j’étais certaine d’une chose : le désordre qui s’offrait à moi n’était pas normal. Des papiers étaient éparpillés sur le sol, les armoires renversées et le mobilier retourné, comme si quelqu’un avait cherché quelque chose frénétiquement.
A mon tour, je me mis à fouiller dans ces papiers, cherchant le moindre indice qui aurait pu me faire comprendre ce qui venait de m’arriver. Toutefois, tous les dossiers qui se trouvaient là étaient liés à la logistique d’Ether, et non à ses activités.
Alors que je cherchais depuis vingt bonnes minutes en vain, je trouvai enfin une piste. Sous son ordinateur, mon père avait dissimulé, dans un tiroir caché, une petite pierre semblable à l’artéfact de Trichiona, à la différence que la glace était d’un noir intense, comme de l’opale.
Lorsque je pris le petit objet dans ma main, une décharge électrique me parcourut le bras tandis qu’un seul nom résonna dans mon esprit : Ouranos. Sans aucune difficulté, j’avais établi le contact avec ce Spiritual inconnu.
D’abord surprise, je remarquai que, sous la pierre, il y avait une note écrite de la main de mon père.
« Projet Purple Kvantiki : Spiritual corrompu, Trichiona, succès. »
Je reculai d’un pas, abasourdie et lâchai le morceau de papier, ainsi que la pierre. Est-ce que j’avais bien lu… Spiritual corrompu ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire encore ? Mon père avait toujours été très secret à propos d’Ether, mais jamais je n’avais eu vent d’une telle expérience, avec mon propre Spiritual qui plus est !
Avec énergie, je me mis à chercher d’autres informations sur ce projet, mais je ne dénichai rien. Cette note griffonnée sur un bas de page était le seul et unique témoin de cette expérience sordide. Le seul indice un tant soit peu utile fut la date de la dernière connexion de mon père à son ordinateur : quasiment deux mois plus tôt.
C’est à ce moment-là que je compris une chose : mon père n’était pas l’homme qu’il prétendait être. Ces derniers temps, j’avais remarqué un léger changement dans son attitude. Il était plus distant, plus souvent absent également, mais puisqu’il était directeur d’Ether Angleterre, j’avais simplement mis ça sur une affaire qui le préoccupait. Cependant, cette pierre changeait radicalement ma vision des choses.
Il fallait que je le retrouve. J’ignorais quel était son véritable objectif, mais j’étais persuadée que, malgré l’attaque de la maison, il était en vie, quelque part. S’il était trempé dans une histoire louche, jamais il ne se serait fait avoir de la sorte. Et avec un peu de chance, ma mère et Arthur étaient également avec lui. Je ne pouvais que prier pour que mes déductions soient correctes.
Je me mis à réfléchir différemment pour deviner où il pouvait se trouver, non pas en tant que victime d’un attentat sans aucun sens, mais en tant que fugitif, impliqué dans une histoire mafieuse.
J’examinai plus attentivement le bout de papier et remarquai soudain que, ce que j’avais pris jusque-là pour une tâche d’encre au dos était en réalité une île. Une île entourée de glace.
Un déclic se fit dans ma tête. Il ne me fallut que quelques minutes sur Google Maps pour en trouver l’origine. Il s’agissait de l’île de Senja, au nord de la Norvège. Ce n’était pas la porte à côté, ni l’endroit le plus accessible au monde, mais si j’avais été dans sa position, je me serais réfugiée aussi dans un lieu similaire, loin de la civilisation. Cette île était peut-être grande, mais déjà, j’avais une piste. Il fallait que je la suive. Si mon père m’avait laissé un tel indice, c’était parce qu’il voulait que je le rejoigne.
Ma décision était prise. Je n’avais plus rien à faire en Angleterre. De toute façon, ce pays ne m’avait apporté que du malheur. Rester ici davantage n’allait rien m’apporter de bon. Je devais me lancer à la recherche de mon père et lui demander des explications, non seulement sur cette attaque, mais également sur ses véritables intentions.
Laura : Ouranos
Spoiler :
Le vent sifflait entre les branches des arbres et faisait tourbillonner les quelques feuilles mortes au sol. Il s’était levé si brusquement que je dus chercher un abri de fortune au plus vite.
Je me réfugiai sous un rocher creux en attendant que l’orage passe. Le tonnerre grondait au loin et suffisait à faire trembler les troncs des arbres. La pluie tombait violement et inondait la vallée à l’herbe sèche et jaunie.
Je regrettai soudain de ne pas être restée tranquillement en Angleterre et d’avoir simplement demandé de l’aide aux services de sécurité. Non, au lieu de ça, je m’étais aventurée, seule, au beau milieu de l’automne dans l’une des parties les plus reculées du monde : l’île de Senja, en Norvège. Je pouvais m’estimer heureuse que la neige ne soit pas de la partie, mais je savais qu’elle non plus n’allait pas tarder à tomber.
Cela faisait un mois que ma vie avait été brisée. Grâce à l’influence d’Ether et à l’ordinateur de mon père, j’avais pu facilement falsifier mon âge, ainsi que mon nom de famille. Pendant les premiers jours qui avaient suivi l’attaque, j’avais trouvé refuge dans un hôtel du centre de la capitale. A partir de ce camp de fortune, j’avais préparé minutieusement mon voyage. Grâce à l’argent de poche qu’il me restait sur ma carte, j’avais pu réserver un vol pour Oslo, puis un autre jusqu’à Tromso. Là, j’avais pris un ferry jusqu’à Botnhamm, un des rares villages de l’île.
Depuis, j’arpentai les sentiers de Senja à la recherche de mon père. Sur ce bout de terre, il n’y avait que huit mille habitants à l’année. J’espérais donc tomber sur quelqu’un qui aurait croisé, ou simplement aperçu mon père.
Cependant, plus les jours passaient, et plus mes espoirs de le retrouver s’amenuisaient. J’avais déjà arpenté les deux plus grandes villes, Tranøy et Lenvik, mais aucune trace de mon père. Mais je refusais d’abandonner. Ces hommes mystérieux dirigés par Éric Sawyer étaient toujours à mes trousses. J’en étais persuadée. Ce n’était ni de la paranoïa, ni de la folie. J’avais bien senti qu’ils en avaient après moi personnellement. Et, quitte à me faire attraper, je voulais au moins connaitre la vérité avant.
Un éclair illumina le ciel et fut suivi très vite d’un nouveau coup de tonnerre fracassant. Je n’aurais su dire pourquoi, mais cela me fit repenser à ma rencontre avec Darksky. Cela me disait vaguement quelque chose, mais quoi ? https://www.youtube.com/watch?v=uFa1KAWV7b4& Je me rappelai tout d’un coup d’où venait ce souvenir, il remontait à bien avant mon périple, avant même ma rencontre avec celui que j’aimais. Les images de ce jour me revinrent toutes en mémoire comme une lance me transperçant le cœur. J’avais tenté de l’enfouir au plus profond de mon être, et de l’oublier à tout jamais, mais même les trésors les mieux cachés finissent par remonter à la surface.
Je n’avais alors que sept ans, j’étais encore inconsciente de tous les dangers de ce monde, j’étais simplement heureuse de vivre. Le vent s’était levé, la pluie tombait fort, et le tonnerre grondait au loin. Il n’y avait plus personne dans le parc. Tous les autres enfants étaient rentrés chez eux pour éviter l’averse. Je m’étais donc retrouvée seule, au milieu du parc, trempée, frigorifiée et terrorisée.
Un nouvel éclair avait déchiré le ciel. Le tonnerre lui avait répondu avec la même violence. J’avais appelé à l’aide, en vain. Les rues étaient désertes, et la ville semblait s’être transformée en ville fantôme.
C’était à ce moment-là qu’il était apparu. Il semblait tout droit sorti des ténèbres qui planait autour de moi. Ses yeux rouge sang luisaient comme des braises dans l’obscurité, ses dents étaient longues et acérées comme des couteaux. Son corps était long, couvert d’écailles noires comme la nuit, des signes étranges de la même couleur que ses yeux se dessinaient dessus et il se terminait par une longue queue à la manière des serpents. Deux ailes immenses m’entouraient, me protégeant de la pluie et du froid.
Au bout de quelques secondes, il s’était décidé à faire un mouvement. Je m’étais figée en le voyant ouvrir ses ailes et pousser un cri. Je pensais vraiment que ma dernière heure était arrivée. Cependant, alors que je m’attendais à être brulée vive, j’avais entendu une voix dans ma tête, grave, impressionnante et puissante :
« Laura Garden, descendante du chevalier Frédéric Garden, gardienne du secret des démons originels… »
J’avais retenu mon souffle en entendant cela. Cette chose avait l’air de connaitre plus d’éléments sur moi que je n’en connaissais sur ma propre famille.
« Serais-tu prête à porter sur tes épaule la charge que nous t’avons confiée à toi et à tes ancêtres ? » J’étais bien trop sous le choc pour refuser, et j’avais accepté naïvement, sans même savoir ce à quoi j’avais dit oui. Lorsqu’il me vit accepter sans broncher, j’avais cru lire de l’étonnement dans son regard de braise.
« Tu es très courageuse, bien plus que ton père ne l’a été avant toi. Mais prends garde à la lance du destin plantée dans ta chair… »
La créature avait poussé un autre cri dans la nuit, puis s’était envolée, emportant avec lui toute l’obscurité qui s’abattait sur la ville, faisant briller le soleil à nouveau.
Lorsque j’avais raconté cela à mes parents et à Arthur, ils m’avaient répondu que j’avais dû faire un mauvais rêve, mais j’avais eu l’impression que mon père s’était crispé en entendant ce que le monstre avait dit. Depuis, j’avais toujours considéré cet épisode comme un rêve.
Je repensai alors à mes pouvoirs. Ils ne s’étaient pas manifestés depuis ce jour, et je n’en avais pas eu l’utilité. Mais, à présent que j’étais à nouveau livrée à moi-même, je me dis qu’il était peut-être temps de retenter l’expérience. Toujours sans succès.
Avais-je rêvé à ces moments-là ? Non, c’était impossible. J’avais défait la mafia de John et échappé aux griffes de Sawyer grâce à cette glace qui s’était formée autour de moi. Toutefois, il m’était impossible de reproduire cet exploit à volonté apparemment. Pas sans mon Spiritual. Et j’avais beau essayé, le Spiritual corrompu ne répondait pas à mes appels.
Je soupirai. La pluie s’était arrêtée. C’était l’occasion pour moi de repartir pour trouver un hôtel où passer la nuit, avant de reprendre mon interminable périple. https://www.youtube.com/watch?v=C8CU46C7gnU Je marchai encore une ou deux heures avant d’atteindre la petite ville de Fjordgård. A l’instar des autres villages de l’île, il n’y avait que quelques maisons rustiques, aux toits pointus et aux murs colorés, perdues au milieu d’une unique grande rue et d’une végétation luxuriante. Comme souvent, de hautes falaises bordaient le bras de mer qui s’infiltrait dans les terres. En tant que touriste, je me serais émerveillée devant ce spectacle atypique, mais je n’étais pas là pour le plaisir.
Je me rendis immédiatement au restaurant de la ville, comme je le faisais à chaque fois depuis le début de mon périple. La cuisine à base de poisson n’était pas celle que je préférais, mais j’avais fini par m’y habituer à force.
Après avoir savouré ce maigre repas, j’appelai le propriétaire en quête d’information. Sans grande conviction, je lui montrai la photo de mon père et lui demandai s’il n’avait pas vu cet homme récemment. Je m’attendais déjà à une réponse négative, mais, contre toute attente, le serveur me confirma l’avoir croisé.
« Oui, je me souviens de tous les rares clients qui passent ici, déclara-t-il dans un anglais approximatif. Cet homme est venu ici il y a deux semaines environ.
— V… Vraiment ? bégayai-je, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Est-ce qu’il était seul ? N’était-il pas accompagné par deux autres personnes ?
— Non. Le pauvre voulait se lancer à l’ascension du monde Segla alors qu’il était blessé et épuisé. J’ai bien essayé de l’en dissuader, mais rien à faire. Il n’a pas voulu m’écouter…
— Le… le mont Segla, vous dites ? répétai-je. Est-ce que c’est loin d’ici ?
— Vous ne comptez tout de même pas vous y attaquer à cette heure-ci de la nuit quand même ? Si vous voulez le gravir, cela vous prendra au moins quatre heures, sans parler de l’averse qui se prépare. Un conseil d’ami, n’essayez pas avant demain et soyez préparé. En cette saison, il est risqué d’aller de s’y aventurer tout court d’ailleurs. Restez donc à l’auberge pour vous préparer comme il se doit. »
Faisant confiance à cet homme, j’acceptai sa proposition. Même si je brûlai d’envie de retrouver mon père, je préférais ne pas tenter le diable en escaladant de nuit un flan de colline escarpé.
Ainsi, je ne commençai mon ascension qu’au petit matin. Une fine brume enveloppait la ville de Fjordgård, comme un linceul blanc. Le soleil peinait à percer au travers de ce voile opaque et les montagnes aux alentours n’étaient que silhouettes fantomatiques, comme des gardiens veillant sur la ville. La rosée du matin cristallisait en de minuscules flocons de neige sur l’herbe jaunie et les fleurs d’automne. Heureusement pour moi, je ne craignais pas le froid grâce à toutes ces années passées aux côtés de Trichiona. Je pouvais donc attaquer la randonnée de façon sereine. https://www.youtube.com/watch?v=J5cgX1Pxx-U Je marchai pendant deux bonnes heures sur un chemin en pente douce, tandis que le brouillard se levait peu à peu pour dévoiler l’un des plus sublimes paysages que je n’avais jamais vus. Des pics rocheux s’élevaient fièrement au-dessus de la mer, comme de majestueux oiseaux prêts à prendre leur envol.
Au loin, des sommets enneigés scintillaient de mille feux sous les rayons de l’aurore, comme d’immenses joyaux naturels. A mes pieds s’étendait de grandes plaines pentues sur lesquelles la mousse envahissait les pierres grises et coloraient ce paysage de dizaines de nuances de vert. Parfois, quelques fleurs blanches et buissons se démarquaient de cet océan de verdure.
La mer de Norvège était paisible. L’eau était si calme que l’on pouvait voir les chaines de montagne se refléter à la surface, comme s’il ne s’agissait que d’un immense lac ouvert serpentant entre les terres. Ce tableau naturel aurait certainement été une source d’inspiration sans limite pour les grands peintres impressionnistes tant il y avait de couleurs différentes en cette fin d’automne.
Après deux heures de marche tranquille au cœur de ce paysage sublime, j’arrivai enfin au pied du mont Segla. Les choses sérieuses allaient enfin commencer. La pente devenait bien plus raide et, selon le propriétaire de l’auberge, mieux valait ne pas avoir le vertige comme l’ascension se déroulait au bord du précipice.
Alors que je m’apprêtai à entamer la deuxième partie de cette randonnée, mon corps se tendit de lui-même. Ne suivant que mon instinct, je me jetai sur le côté, tout juste à temps pour éviter un rayon d’énergie qui vint détruire la paroi de la montagne, soulevant un épais nuage de poussière.
Je roulai sur le sol avant de me remettre sur pieds, tous les sens en alerte, prête à faire face à mon agresseur. J’aurais dû m’en douter. Cette aventure se déroulait bien trop calmement jusqu’à maintenant. https://www.youtube.com/watch?v=_pv9kOEWIXY « Pouvons-nous reprendre là où nous en étions arrêtés la dernière fois ? Je n’aime pas quand les souris s’échappent de leur trou. »
Devant moi, apparut l’homme qui avait détruit ma vie. Éric Sawyer, leader du mouvement ESPer. Ce cinglé m’avait bel et bien suivie jusqu’ici. Quelle idiote avais-je été de relâcher ma garde de la sorte !
L’homme au manteau marron et à la coupe pompadour se rapprochait lentement de moi, un sourire carnassier déformant son visage. Les images d’Arnold affrontant cet homme me revinrent en mémoire et une goutte de sueur perla de mon front, mais je me ressaisis aussitôt. J’étais beaucoup trop proche du bout pour échouer maintenant.
Rassemblant mon courage et laissant ma raison dans les tréfonds de mon esprit, je sortis un couteau suisse de ma poche que j’avais acheté spécialement pour l’occasion puis me mis en position de combat, exactement comme lors de mon affrontement avec John.
Ma résistance arracha un rire rauque à ce maboul.
« Pauvre fillette égarée, tu te bats pour retrouver ton père chéri. Mais sais-tu au moins qui il est réellement ? déclara-t-il d’une voix qui se voulait envoutante, mais qui ne réussit qu’à me donner la nausée.
— Si vous êtes si préoccupé par mon sort, vous pouvez bien me dire ce que vous me voulez, non ? crachai-je.
— Je pourrais, oui. Mais si je te le dis, tu n’en deviendras que plus embêtante. Tu pourras peut-être demander à ta famille quand tu les auras rejoints dans l’au-delà. »
Cette phrase finit de mettre le feu aux poudres. Prise d’une rage incontrôlable, je me jetai sur lui en poussant un cri de guerre, le couteau brandi vers l’avant. Je n’avais pas fait un seul pas que je me retrouvai immobilisée, incapable de me mouvoir.
« Qu… »
Je n’eus même pas le temps de prononcer un mot que je me sentis comme tirée dans les airs. Un instant plus tard, je me retrouvai à flotter cinq mètres au-dessus du sol, interdite, tandis que Sawyer éclatait de rire devant mon air apeuré.
« Ma pauvre enfant, tu ne sais vraiment pas à qui tu as à faire, ricana-t-il. »
Mon ennemi fit un geste ample avec son bras et je me fis projeter violemment contre le sol. Je poussai un cri de douleur tout en lâchant ma seule arme. Puis il fit un autre geste, vers la droite cette fois-ci et ce fut comme si j’avais reçu un coup de poing dans les côtes.
Je roulai dans la poussière sur plusieurs mètres avant de me faire arrêter dans ma course par la paroi de la montagne. Mais les attaques de Sawyer ne s’arrêtèrent pas là et il continua à me malmener, me projetant contre tout ce qu’il trouvait, comme un vulgaire ballon de foot.
Finalement, il me repoussa de toutes ses forces psychiques contre le flanc de la falaise. L’impact fut si violent que mon corps laissa une marque nette dans la roche dure. Vidée de mes forces, je retombai sur le sol en pente et roulai jusqu’à au précipice. Je repris mes esprits in extremis pour me rattraper à une main au bord de la falaise, les pieds pendant mollement dans le vide.
Au-dessus de moi, je vis le regard flamboyant de Sawyer me dévisager avec amusement. Sans aucune compassion, il m’écrasa les doigts de ses bottes et une boule de feu se forma au creux de sa main. Je poussai un hurlement de douleur, sentant mes os se faire broyer par sa semelle dure.
C’était la fin. Quelle idée avais-je d’entreprendre un tel périple alors que je me savais menacée ? Je n’avais même plus de pouvoir sans Trichiona, à quoi pensais-je en espérant retrouver mon père de la sorte ?
J’étais vraiment stupide et maintenant, j’en payais les conséquences. Tout mon corps était en sang, mes vêtements en lambeaux et j’allais très certainement mourir lamentablement sans même savoir pourquoi… https://www.youtube.com/watch?v=2xrI8AyoDwE « Mourir ? résonna une voix dans ma tête. Est-ce vraiment ce que tu veux ?
— Ai-je vraiment le choix… pensai-je.
— Veux-tu mourir ? Veux-tu avoir fui pour rien ? Veux-tu laisser Darksky attendre ton retour en vain ? continua la voix dans ma tête.
— N… Non… Évidemment que non !
— Dans ce cas, tu as le choix de vivre. »
Une lueur malsaine et sadique dans les yeux, Sawyer se baissa et approcha sa boule de feu de mon visage, prêt à me brûler vive. Au même instant, mon cœur ralentit et je sentis mon sang se refroidir subitement dans mes veines. Un afflux d’énergie m’envahit. Mes bras se mirent à bouger d’eux-mêmes, agrippant la jambe de mon agresseur de ma main valide.
« Ce… Ce n’est pas… fini… murmurai-je.
— Allons, tu te fais du mal, Laura, me dit l’assassin d’un ton faussement compatissant. Je pense que je vais devoir abréger tes souffrances. Péris dans les flammes d’Arcadie. »
Mon ennemi projeta ses boules de feu droit sur ma figure, mais je ne ressentis rien car, au lieu de me brûler le visage, son attaque se heurta à un solide mur de glace sorti de nulle part.
« C… Comment ! rugit Sawyer en reculant vivement. »
Emplie de cette énergie nouvelle, je créai une plateforme gelée sous mes pieds qui s’éleva pour me permettre de regagner la falaise, sous le regard terrifié de mon adversaire. Tout mon corps était entouré d’un halo de lumière bleutée tandis que la glace gagnait du terrain, comme un virus se répandant sur la pierre froide. Des nuages d’orage recouvrirent le ciel, un instant plus tôt encore immaculé et un puissant blizzard qui prenait sa source autour de moi se leva.
Comme le jour de mon combat contre John, toutes mes émotions semblaient s’être envolée pour ne laisser place qu’à la colère et mon instinct de combat.
« Impossible… C’est impossible ! »
L’homme forma deux nouvelles boules de feu, bien plus imposantes et les projeta sur moi. Pour toute réponse, je levai le bras. Deux énormes cristaux de glace se formèrent devant moi et je les lançai de la même façon. Lorsque les deux attaques se touchèrent, une nouvelle vague de vapeur envahit l’endroit, mais la glace fondue fut suffisante pour éteindre les flammes. Mes deux cristaux se transformèrent en deux pics tranchants que Sawyer esquiva de justesse.
« Tu veux donc me tenir tête ? Très bien ! Admire la puissance du plus puissant du leader d’ESPer, le mouvement qui a mis le gouvernement de Tokyo à genoux ! »
Deux sphères d’énergies apparurent dans les mains du télékinésiste et ce dernier commença à s’élever dans les airs tandis que sa mèche crépitait et que des éclairs s’échappant de son corps frappaient le sol avec violence.
Cependant, je ne me laissai pas déstabiliser et j’intensifiai le blizzard me protégeant jusqu’à créer une véritable tempête de neige qui, tel un mur de glace, nous isola totalement du reste du monde. Il n’y avait plus que Sawyer et moi.
Les yeux de mon ennemi virèrent au doré. Je me sentis à nouveau soulevée par une force invisible, mais cette fois-ci, je ne me laissai pas faire. Ripostant immédiatement, je fis surgir du sol un énorme cristal de glace entre nous et, aussitôt le contact visuel perdu, l’attaque de Sawyer se dissipa, me laissant libre de mes mouvements.
Je ne perdis pas une seconde de plus. À partir de la vapeur d’eau, je fis apparaitre des dizaines d’aiguilles de glaces que je projetai toutes d’un seul coup vers l’homme. Il riposta d’un simple geste de la main qui arrêta mes aiguilles avant de les retourner contre moi.
Je fermai alors les yeux. Sachant exactement où elles se trouvaient, j’esquivai chacune, simplement guidée par mon instinct.
« Tu te débrouilles bien, je dois l’avouer, railla Sawyer. Mais, même si tu peux me tenir tête, tu ne peux rien faire face à un Spiritual ! Apparais, Sufia ! »
Un tremblement de terre secoua le sol qui se commença à se fissurer. Des flammes bleutées brisèrent alors la couche de glace que j’avais créée et, de cet enfer surgit un spiritual, une sorte de démon bestial ailé dont le crâne et le corps, dénués de peau, laissaient les os saillants et uniquement reliés entre eux par un étrange tissu verdâtre. La créature projetait des éclairs tout autour d’elle, exactement comme son invocateur.
La bête rugit. D’un simple battement d’ailes, dissipa le blizzard que j’avais mis en place. Je ne me laissai néanmoins pas déstabiliser devant les trois mètres du monstre et je fermai à nouveau les yeux, ralentissant davantage les battements de mon cœur, refroidissant toujours plus mon sang.
J’entendis Sawyer éclater de rire en voyant cela, pensant certainement que je me rendais, mais c’était tout le contraire.
Je me retirai au plus profond de moi-même, cherchant la source de mon pouvoir et finis par la trouver. Au fond de moi, je discernai une ombre, une sorte de cristal sombre et un nom me vint en mémoire tandis que l’aura autour de moi s’intensifia.
« C’est terminé, Laura ! Sufia, Ultimate Psychic Shockwave ! » https://www.youtube.com/watch?v=SaeXN-MByjU Le démon poussa un cri de rage. Au même moment, alors que l’attaque électrique se dirigeait dangereusement vers moi, je levai le bras et je l’arrêtai d’une seule main, la renvoyant sur le monstre qui vola aussitôt en éclat sous le regard interdit de son propriétaire.
Mais ce qui le choquait le plus n’était pas ma réaction, mais peut-être le cristal noir que je tenais dans ma main. À sa vue, Sawyer grimaça.
« Ce pendentif… Mais je croyais…
— Non… Ce n’est pas Trichiona… Murmurai-je. Trichiona n’est plus… Tout comme cette fille stupide que j’étais… Il n’y a plus… Qu’Ouranos ! »
En prononçant ces mots, le blizzard repartit de plus belle. Dans la pénombre, trois yeux apparurent, appartenant à trois têtes différentes, toutes surmontées d’un masque. Le dragon de glace obscure poussa un hurlement si puissant que la concentration de Sawyer fut brisée. L’ennemi retomba au sol, sans défense.
« Je vais… vivre ! m’écriai-je, intensifiant encore plus la tempête qui se mit à emporter avec elle des tuiles et de gros rochers. Pour Darksky, pour ma famille, pour Théodore, je refuse de mourir maintenant, et surtout pas de la main de quelqu’un comme vous ! Ouranos, Subzero Ice Beam ! »
Les trois têtes du dragon soufflèrent en même temps des rayons glacés et sombres qui percutèrent Sawyer avec une telle force que je vis le sol se creuser sous l’impact.
Mais je n’attendis pas de savoir si mon ennemi avait été vaincu et j’ordonnai à mon nouveau Spiritual de repasser aussitôt à l’attaque, bien décidée à en finir une bonne fois pour toute avec Sawyer. Mais, au moment de l’impact, les rayons furent déviés et allèrent détruire la paroi déjà bien amochée.
« Qui… ! »
Lorsque la fumée de l’impact se dissipa, je discernai que Sawyer n’était plus seul. Un homme se tenait juste devant lui, le bras levé. Il était habillé assez bizarrement, une cape rouge, une armure dorée, une couronne pleine de pierre précieuses, je me serais cru dans l’antiquité.
Il me regarda avec un regard froid et en même temps il y avait dedans une flamme de volonté de se battre si intense que je croyais qu’il allait me brûler sur place.
Il prit Sawyer par le bras, puis disparut aussi vite qu’il était apparu sans dire un mot, me laissant seule au milieu du champ de ruines que j’avais moi-même causé.
Encore une fois, et comme toujours lorsque j’activai mes pouvoirs, tout disparut d’un seul coup, me laissant à genoux, essoufflée et blessée de toutes parts, au milieu d’un champ de glace.
Mais, malgré tout, j’avais le sourire car, en plus d’avoir été capable de me défendre, je pensais avoir compris l’origine de mes pouvoirs, des pouvoirs reposant sur ma colère et mon désir de vivre.
Je lançai un nouveau regard vers le sommet de cette montagne et je serrai le poing. Mon père allait avoir de nombreuses explications à me fournir.
Laura : La fin d’un périple
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=iQBIoXh8Jho Un vent glacial soufflait sur ma peau. Mais cela ne me faisait aucun effet. Le froid était mon domaine après tout. Sur le dos d’Ouranos, je survolai le mont Segla depuis maintenant vingt minutes. La brume s’était levée à nouveau et je n’y voyais pas à vingt mètres, c’est pourquoi, je devais raser le sol si je voulais avoir un espoir de trouver quelque chose.
Finalement, une ombre se dessina à l’horizon. Je plissai les yeux et finis par apercevoir, au sommet d’une paroi escarpée, au bord d’un ravin de plusieurs centaines de mètres, une sorte de cabane de bois. A quelques mètres, il y avait un petit lac d’eau clair autour duquel poussaient des buissons à baies. Les murs de bois de la bâtisse semblaient en très mauvais état, parsemés de fissures et rafistolés avec des planches clouées à même le mur. Du toit de pierre, une fumée grisâtre me prouvait que quelqu’un habitait bel et bien ici.
Le cœur battant à tout rompre, je descendis de mon Spiritual et m’arrêtai sur le pas de la porte. Nous étions bien loin des chemins de randonnée. Pire, je me trouvai dans une sorte de cuvette protégée par de hauts murs de pierre lisse naturels, façonnés uniquement par le vent et la neige qui recouvrait partiellement les rares mousses et lichens qui poussaient dans un environnement aussi hostile.
Il n’y avait pas un chant d’oiseau. Les feuilles inexistantes ne bruissaient pas et l’eau glacée ne s’écoulait plus. Le chant du mistral sifflant sur la roche nue était le seul son qui parvenait jusqu’à mes oreilles.
Je frissonnai, non pas à cause du froid mordant qui aurait gelé jusqu’aux os un humain normal, mais à cause de cette atmosphère lourde et dénuée de vie. Sans les quelques traces de végétation qui trainaient ici et là, j’aurais pu me croire sur une autre planète.
Lorsque ma main s’approcha de la lourde porte en bois, mon cœur s’accéléra. Là, à quelques mètres de moi, se trouvait l’homme que je cherchais depuis un mois désormais. Je ne l’avais pas revu depuis ce funeste jour. Comment allait-il m’accueillir ? Me pensait-il morte ? Était-il déjà parti depuis longtemps vers une autre destination inconnue ? Qu’allais-je lui dire après tout ce que j’avais découvert ? Allais-je pouvoir le regarder dans les yeux comme avant ?
Il n’y avait qu’une seule façon de répondre à toutes ces interrogations. Je pris mon courage à deux mains et, sans hésiter, je frappai trois bons coups à la porte. Comme je pouvais m’en douter, je n’eus aucune réponse.
« Papa, si tu es là, ouvre ! C’est moi, Laura ! m’exclamai-je d’une voix forte. »
A l’évocation de mon nom, j’entendis un bruit grinçant d’une chaise qui se trainait sur un parquet craquant. Plusieurs verrous se déverrouillèrent, puis, lorsque la porte s’ouvrit, je ne pus m’empêcher de tressaillir à la vue de l’apparence de l’homme qui me faisait face. https://www.youtube.com/watch?v=qSvpN72u9F8 Mon père portait un long manteau noir orné de plumes grises au niveau du col. Ses cheveux avaient poussé et étaient en bataille. Son apparence générale était très négligée par rapport au temps où il présidait Ether. Lorsqu’il me vit à son tour, son regard vide s’illumina d’une lueur nouvelle et il me serra longuement dans ses bras en pleurant à chaudes larmes.
« Laura, dit-il en me prenant dans ses bras, je suis si heureux de te revoir enfin après toutes ces années. »
Au son de sa voix, je ne pus me retenir davantage. Je laissai couler les larmes que j’avais retenu en mois depuis un mois.
Notre étreinte se prolongea plusieurs minutes. Je refusai de m’éloigner de lui. J’avais peur de le voir disparaitre à nouveau si je le relâchais ne serait-ce qu’une seconde. Je me sentais retombée en enfance, lorsqu’il me serrait ainsi pour me consoler. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point être séparée ainsi de ma famille m’avait marqué.
Lorsqu’il me regarda dans les yeux, je pus voir un bonheur infini dedans, l’amour d’un père pour son enfant perdu enfin retrouvé.
« J’ai toujours su que tu t’en sortirais, ma fille… murmura-t-il.
— Je… Je n’ai fait que suivre les instructions que tu m’as données. Dis-moi, Papa, qu’est-ce que tout cela signifie ? Que s’est-il passé ? Et sur quoi travaillais-tu ? »
Mon père lâcha un long soupir de fatigue, puis m’invita à entrer dans la cabane. L’intérieur était vraiment élémentaire. Il n’y avait que le strict minimum : un lit, un coin cuisine, des toilettes, une douche de fortune et une table sur laquelle étaient posés divers objets étranges. Une simple lampe à huile éclairait faiblement l’unique pièce de cet abri temporaire.
« Je suis désolé, Laura. Tout ce qui est arrivé est de ma faute, soupira mon père en se prenant la tête dans les mains.
— Papa, s’il te plait, raconte-moi tout. J’ai besoin de savoir, lui dis-je d’une voix douce.
— Si tu as trouvé Ouranos, tu dois déjà connaitre une partie de l’histoire, ma fille. Ton père n’est pas l’homme que tu croyais être. J’avais beau être directeur d’Ether, j’ai été dépassé par la situation… »
Mon père frappa la table de son poing, en colère contre lui-même.
« Éric Sawyer, l’homme qui t’a attaqué… c’est de ma faute. J’ai accepté de collaborer avec lui sans être conscient des conséquences, et voilà où ça m’a mené…
— Pourquoi avoir travaillé avec un homme aussi dangereux ? Tu sais pourtant que ce type est un criminel, surtout aux yeux de la fédération !
— C’était une alliance fortuite. Celui avec qui j’étais en relation, c’était son maitre, Hélios. Comme tu as dû le remarquer, nous possédons un lien particulier avec un Spiritual des ténèbres. Tu l’as déjà rencontré il y a longtemps et tu nous en avais parlé.
— Attends, tu veux parler de cette ombre aux yeux rouges ? m’étranglai-je.
— Oui. Son nom est Gariatron. Il s’agit d’une créature issue du fond des âges. Il y a longtemps, un de nos ancêtres a établi un contact avec lui pour gagner une guerre… et depuis, nous portons en nous la clé qui permettra son réveil. Hélios était conscient de cela, c’est pourquoi, il m’a proposé de travailler avec lui sur un moyen de rompre ce contrat par la création d’artéfacts artificiels. La pierre que tu possèdes maintenant, Ouranos, est le fruit de nos recherches. Même si ce Spiritual ne contient qu’une infime partie du pouvoir de Gariatron.
— Alors comme ça, mes pouvoirs proviendraient de ce Gariatron… murmurai-je, pensive.
— Cependant, je compris rapidement qu’Hélios me manipulait. Tout ce qu’il cherchait, c’était à s’accaparer ce pouvoir pour lui seul. Lorsque j’ai réalisé cela, j’ai voulu couper tout contact avec lui et ses hommes. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu… »
Le regard de mon père se voila et sa main se mit à trembler légèrement sur la table, comme s’il était pris de spasmes en se perdant dans ses souvenirs douloureux.
« Je le savais… Je savais que nous aurions dû nous enfuir tant qu’il était encore temps. Mais je n’ai pas eu le courage de vous annoncer ça. Où serions-nous allés ? Je ne pouvais pas demander d’aide à la maison mère de la fédération, sous peine d’être emprisonné, mais je ne pouvais pas non plus tout abandonner. Alors, j’ai saboté mon propre projet. La suite, tu la connais. Sawyer, en guise de vengeance, a attaqué notre demeure avant de s’attaquer directement à moi. J’ai été contraint de m’enfuir le plus loin possible, en abandonnant derrière moi tout ce que j’avais accompli… Tout ce que j’ai pu vous léguer, c’est cette pierre et ce bout de papier que tu as trouvé.
— Dans ce cas, tu ne sais pas si… »
Mon père secoua la tête négativement alors que son visage était déformé par la tristesse et les remords.
« J’ignore s’ils ont été aussi chanceux. Contrairement à toi, ni Arthur, ni ta mère ne possèdent le pouvoir de Gariatron. Donc ils ne seront pas poursuivis pas Sawyer… mais ils n’étaient pas non plus protégés des flammes… »
Lorsque j’entendis cela, j’activai involontairement mes pouvoirs. Un cristal de glace se forma dans la paume de ma main et mon père recula instinctivement, terrifié.
« Laura, tu dois me comprendre, si j’ai choisi de fuir, ce n’est pas parce que je vous ai abandonnés ! Mais si Hélios met la main sur le pouvoir que je possède, alors le monde… » https://www.youtube.com/watch?v=XH5bYuMtj6I Mais je n’écoutais plus ce que me disait mon père. Au fond de moi, une haine ardente brûlait et me consumait de l’intérieur. Sawyer. Et Hélios. Ils allaient payer pour ce qu’il nous avait fait. Je ne me battais plus simplement pour moi désormais. J’avais une vengeance à accomplir.
« Ainsi, ta colère prend enfin le dessus, Laura, dit une voix grave et gutturale dans ma tête. »
Ma vision se brouilla et le décor désertique disparut pour faire place à une grotte lugubre. Ce que j’y vis chassa toute la chaleur de mon corps pour n’y laisser qu’un vide glacial et une haine destructrice.
Devant moi se trouvaient Darksky et une fille blonde, habillés des capes que ces hommes m’ayant attaquée et ayant détruit ma vie…
Lorsque la vision se dissipa, je ne pus m’empêcher d’éclater de rire tandis que la rage grandissait en moi et qu’un puissant blizzard se levait. Les murs de la cabane volèrent en éclats. Le cratère fut bientôt recouvert d’un épais manteau de neige. Et, au milieu de ce désert blanc et glacial, se tenait mon père, les mains enveloppées dans un feu sombre. Il me dévisageait avec surprise, puis son visage se crispa et toute émotion sembla le quitter aussi.
C’était terminé. Ma dernière attache à mon passé venait de sauter et, avec elle, la petite fille joyeuse et stupide que j’étais mourut pour ne laisser place qu’à un froid intense et dénué de vie et d’émotion hormis la haine et le désir de vengeance.
Mon père s’approcha de moi. Il me mit la main sur l’épaule tandis que, dans ses yeux, brillait un éclat nouveau.
« Laura. Si la fédération Ether m’a bien appris une chose, c’est que le monde dans lequel nous vivons est cruel. J’ai tenté de marcher aux côtés de Violet et des autres pour la paix… mais voir que Sawyer et Hélios sont toujours en liberté m’a ouvert les yeux. Alors, je te le demande : veux-tu te venger avec moi de ce monde qui nous a tout pris pour en reconstruire un nouveau ? Veux-tu… provoquer un cataclysme ?
— Fais comme tu voudras, lui répondis-je d’une voix glaciale. Tant que tu m’aides à accomplir ma vengeance. »
Un léger sourire illumina sa figure et la flamme noire dans sa main redoubla d’intensité, jusqu’à devenir un brasier ardent et sombre, aspirant les derniers restes de vie ayant résisté à ma glace meurtrière.
« Tu as fait le bon choix Laura. Que tous les peuples se préparent car le règne de Shadow… va bientôt commencer. »
Laura : Epilogue
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=8zj0eWxRYU4J’observai les flammes du Sphinx se dissiper lentement sous la résistance de Darksky et de ses amis du haut d’une colline non loin de là. Ces idiots se débrouillaient mieux que je ne l’avais pensé, mais, peu importe à quel point ils résistaient, ils allaient inévitablement finir engloutis par le froid ou les ténèbres de mon père.
Darksky… Il n’avait décidément pas changé depuis toutes ces années et était toujours aussi naïf et stupide que je ne l’étais à onze ans. Il n’avait même pas compris que ma jalousie n’était là que pour camoufler ma véritable haine qu’il ait accepté de s’allier avec cet Hélios, lui, la seule personne en qui j’avais fait confiance jusqu’à la fin.
Mais c’était fini. Je m’étais réveillée de ce rêve illusoire et rempli d’espoirs vains. Le temps n’était plus à l’amusement. Je devais venger ma famille pour accomplir le dernier vœu de mon père et pour pouvoir tout recommencer à zéro.
Fermant les yeux et détournant le regard de ce combat ridicule, je fis appel à Ouranos et m’envolai jusqu’à la citadelle de Gariatron.
Là, je retrouvai mon père, ainsi que le démon, mais je passai devant eux sans même les regarder. Je pénétrai à l’intérieur de la forteresse, laissant un long sillage de glace derrière moi jusqu’à atteindre une pièce particulière, séparé en son milieu par un abime sans fond et dans laquelle se trouvait un trône de glace.
Je m’assis dedans et m’accoudai, attendant avec impatience que Darksky triomphe des esprits de la terre pour pouvoir l’écraser de mes propres mains.
« Dépêche-toi, mon vieil ami. Je suis impatiente de pouvoir t’affronter à nouveau après toutes ces années, et Ouranos rêve de te connaitre lui aussi… »
Tandis que je prononçai ces mots, je ressentis le souffle glacial du dragon à trois têtes dans mon dos. Nous étions prêts. Il était hors de question de perdre maintenant. Je ne pouvais que gagner et, une fois Darksky vaincu, plus rien ne serait en mesure de m’arrêter.
Ce monde dont nous rêvions, mon père et moi, était sur le point de voir le jour.
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