Chapitre 11 : Le réveil du titan
Spoiler :
Alors nous y étions. Dans quelques minutes à peine allait débuter le combat qui devait marquer le commencement de tout. Pour être franc, j’étais anxieux. Non pas à l’idée de voir deux chefs de guerre se livrer un combat sans merci…mais l’image du dragon d’Hélios continuait à hanter mes souvenirs. Certes, nous l’avions réaffronté au Louvre et nous étions sortis plus ou moins victorieux… Mais c’était Darksky qui s’était battu et non le roi fou. Cette fois-ci, il n’y avait aucune alternative. Hélios allait se battre, devant les yeux de milliers de personnes, de milliers de victimes potentielles, de milliers de spectateurs inconscients du danger qui les attendait. Violet elle-même redoutait tellement ce moment que le matin même, elle avait érigé à l’aide des membres de la fédération, une barrière protectrice tout autour du stade, mais je doutais sincèrement de son efficacité. En cas de problème, nous avions promis de nous occuper d’Hélios et de protéger les spectateurs pour ne pas mettre en péril la réputation de la millionnaire… Mais pouvions-nous réellement faire quelque chose ? C’était à peine si nous parvenions à vaincre nos adversaires qui n’étaient rien d’autre que des étudiants pour la plupart… Comment pouvions-nous réellement prétendre avoir la force de protéger plus de 80 000 personnes d’un roi fou possédant un pouvoir provenant du fond des âges ? C’était de la folie. Ni plus ni moins. Alors pourquoi étais-je encore ici, dans ce stade où un drame imminent se préparait, si je pensais mourir ? Je ne le savais pas moi-même. Ma conscience m’interdisait simplement de prendre mes jambes à mon cou et de laisser Angéla et Darksky combattre seuls… Afin d’évacuer la pression que je supportais sur mes épaules, j’avais décidé d’aller acheter quelque chose à boire au distributeur. Je fus assez surpris de voir tomber une cannette de coca identiques à celles que j’avais l’habitude d’acheter dans mon monde. Je pris la boisson gazeuse avec un petit sourire aux lèvres. Décidément, tout semblait identique en tout point à mon monde, et pourtant, c’était comme si j’avais atterri dans un de ces mondes fantastiques décrits dans les livres, remplis de créatures plus étonnantes et dangereuses les unes que les autres. Peut-être était-ce cette similarité si troublante qui m’empêchait d’abandonner ce monde à son sort… Cependant, alors que je buvais tranquillement cette boisson si familière, je reçus une grande claque dans le dos, si forte qu’elle me coupa la respiration et m’obligea à tout recracher avant de tousser pour tenter de reprendre un peu d’air. Je me retournai, d’autant plus furieux lorsque je vis le visage joyeux et amusé d’Angéla, visiblement fière d’elle-même. « Eh Drago, tu en tires une tête, tu es tombé amoureux de la ténébreuse Laura ? Me lança-t-elle malicieusement. -Tiens, comment tu as deviné ? Lui répondis-je ironiquement. -Mon cher Drago, sache qu’on m’appelait la reine de cœur à l’école ! -Sérieusement ? Demandai-je, désespéré. -Evidemment que non, le ridicule ne tue pas mais y contribue beaucoup, répliqua Angéla, gardant cet éclat de malice dans ses yeux. -Tu viens de mélanger deux expressions différentes, soupirai-je, oubliant mon énervement. -La nouveauté Drago, les grands de ce monde sont ceux qui innovent ! Me répondit-elle avec un clin d’œil. -Tu es vraiment comme ça tous les jours à l’école ? Tu me rappelles… » Encore. Je bloquais encore sur ce nom qui pourtant aurait dû m’être si familier. C’était frustrant. Vraiment frustrant. Ce sentiment d’oublier quelque chose de très important, de capital même. Mais plus je me concentrai pour retrouver ce nom, plus mes souvenirs devenait brumeux et flous. « Drago, tu es sûr que tu n’es pas tombé amoureux de Laura ? Reprit la blonde en claquant des doigts devant mes yeux. -N…Non, ce n’est rien…Enfin je crois. Je viens simplement…de repenser à quelqu’un qui m’est cher…Une…amie… -Une amie chère à tes yeux ? Répéta Angéla. » Le visage de la jeune fille s’était soudain assombri et elle baissa la tête vers le sol en serrant le poing. Je ne compris évidemment pas sa réaction, même si je me doutais bien que je venais sans m’en apercevoir d’évoquer un point sensible chez ma partenaire. « Dis…Angéla…Il serait peut-être temps de retourner dans les stands, tu ne crois pas ? Lui demandai-je prudemment. -Oui…Vas-y d’abord, je te rejoins… » Gêné, je commençai à m’éclipser, mais en me retournant, voir Angéla, d’ordinaire si joyeuse, si abattue tout à coup, me fit mal au cœur, si bien que je ne pus me résoudre à la laisser seule et je fis demi-tour. « Tu sais Angéla, si tu as besoin de te confier à quelqu’un… » Mon amie releva la tête et me lança un léger sourire avant de répondre : « Non Drago, ça ira, merci, mais je ne veux pas t’impliquer dans mes problèmes…Je dois apprendre à me débrouiller seule…sinon, tu risques de finir comme elles…Murmura Angéla. -Comme…Elles ? Répétai-je sans comprendre. -Non, ne t’occupe pas de ça, je t’embêterai avec mes histoires ennuyeuses un autre jour, pour le moment, on a un match à aller voir ! Reprit la jeune fille, retrouvant son visage rayonnant. » Mon amie, ayant repris son entrain habituel, m’entraina à sa suite tandis que la voix du présentateur annonçant la reprise des matchs retentissait dans le stade. Cependant, je venais de découvrir un visage d’Angéla que je ne lui connaissais pas jusque-là, un visage rongé par le remord et la peine. Contrairement à Darksky, elle cachait ses regrets derrière ce masque représentant la jeune fille insouciante et joyeuse qu’elle avait dû être autrefois alors que, au fond d’elle, elle devait ressentir exactement la même chose que nous. Si jusque là je ne la trouvais que légèrement agaçante bien qu’étrangement sympathique et ouverte avec moi, un inconnu total trouvé dans la rue, je me pris à me penser qu’elle était également incroyablement forte. Être capable d’arborer cette attitude rayonnante même dans la douleur était quelque chose qu’il m’était inconcevable de faire, et il devait en être de même pour Darksky. Angéla possédait vraiment quelque chose de rare et précieux. Cette inconscience de la réalité était sans nul doute son plus grand atout. Lorsque nous arrivâmes à nos places, je remarquai que Darksky n’avait pas bougé et continuait de fixer cette fille, Laura, se trouvant dans les stands adverses, les bras croisés sur sa poitrine, le regard froid et impitoyable. Cependant, il fut sorti brutalement de sa torpeur lorsqu’Angéla le réveilla avec la même claque violente qu’à moi. « Qu’est-ce que…Angéla, ça ne va pas ? J’aurais pu être en train de manger et je serais mort étouffé par ta faute ! S’écria Darksky, furieux. -Bah, tu n’étais pas en train de manger visiblement sinon je t’aurais prévenu en arrivant, lui répondit-elle en haussant les épaules. -Oui, enfin, si tu pouvais prévenir quand les gens boivent, ça ne serait pas mal non plus…Marmonnai-je en repensant aux deux euros perdus par sa faute. » Alors que Darksky et Angéla continuaient à se disputer, je sentis une présence à mes côtés. Il ne me fallut que quelques secondes pour réaliser qu’une fois de plus, ma sœur était apparue sans prévenir. J’ignorais si mes deux partenaires pouvaient la voir mais cela était bien le dernier de mes soucis à ce moment-là. Car je savais que si Théa apparaissait, l’heure n’était plus à la plaisanterie. Par réflexe, je saisis le pendentif que je portais autour du coup, le sceptre Héqa, priant pour qu’il me soit utile. « Alors nous y sommes ? Lança ma sœur en fixant le stade. A votre place, j’aurais tout arrêté mais il est trop tard pour cela j’imagine. J’espère sincèrement que vous savez ce que vous faites. -Je…Je crois…Répondis-je, vraiment peu assuré. -Il n’y a pas de « je crois » qui tienne aujourd’hui, rétorqua sévèrement ma sœur. Tu te dois d’être prêt, l’erreur n’est pas permise. -Je sais bien Théa…mais je n’ai pas été préparé à ça. Il y a encore quelques jours, je n’étais qu’un lycéen ordinaire et voilà où je me retrouve… » Ma sœur se tourna vers moi et me couvris d’un regard compatissant qui me redonna un peu de force. Etant enfant, elle me consolait souvent avec ce même regard qui m’apaisait toujours. C’était un peu comme une berceuse que j’aurais pris l’habitude d’écouter pour me calmer. « Tu sais, même moi je n’étais pas préparée à ça, mais tu t’en es très bien sorti pour le moment et je sais que tu t’en sortiras encore une fois, j’ai foi en toi Drago. -Et bien moi, je n’ai aucune foi en moi-même, lui répondis-je, craignant toujours le pire pour ce tournoi. Sans ces Shungites, je me serais fait sortir en moins d’une minute… -Tu sais, la Shungite n’est pas un pouvoir à proprement parler. Ce n’est qu’un artifice, un catalyseur destiné à libérer ton potentiel intérieur. Si tu as pu remporter cette victoire, ce n’est pas grâce à une arme extérieure mais grâce à ton propre pouvoir. Je suis persuadée que tu as la force nécessaire pour accomplir cette tâche que j’ai été incapable de mener à bien. » Soudain, des exclamations s’élevèrent depuis la foule et, levant la tête au ciel, je vis comme un point noir tombant directement du sol et se rapprochant à grande vitesse de nous : Hélios. Malgré sa chute de plusieurs mètres, le roi atterrit délicatement sur ses pieds, sans aucune égratignure et en soulevant un épais nuage de poussière tout autour de lui.
Ce type était décidément doué pour l’apparat. Pour sa première apparition en public, Hélios avait décidé de sortir ses plus beaux habits : sa cape pourpre était incrustée de pierres précieuses reflétant la lumière du soleil, le rendant presque impossible à regarder à cause de la lumière qu’elles produisaient. Sa cape n’était pas la seule chose brillante, puisque sa couronne n’était pas en reste, dorée et elle aussi, parsemée de joyaux. Son armure, quant à elle, semblait avoir été polie à un tel point qu’il était presque possible de voir son reflet à l’intérieur.
Etrangement, Hélios se comporta comme n’importe quel participant, souriant à la foule et saluant les spectateurs d’un geste de la main avec un large sourire sur les lèvres. A le voir ainsi, on aurait pu penser à un simple concurrent un peu excentrique et aimant se faire remarquer.
J’avais vraiment du mal à cerner notre ennemi. Tantôt il était sanguinaire et sans merci, comme lors de nos précédents affrontements, et tantôt, il se comportait comme n’importe qui, à croire qu’il existait deux Hélios radicalement opposés.
A ce moment-là, je m’attendais à voir débarquer Shadow à tout moment et mon cœur s’accéléra. Je n’avais aucune idée de l’apparence du mystérieux homme.
Je l’imaginais grand, baraqué, le visage carré et parsemé de cicatrices, un peu comme un boxeur, ou bien avec un visage irréprochable sur tous les points, comme les supers héros de comics. Cependant, après plusieurs secondes d’attente, personne ne se présenta sur la scène…
Cependant, les minutes passèrent et Hélios resta seul au milieu du stade, ricanant de la situation.
« Ce trouillard a pris la fuite à ce que je vois. Ça ne m’étonne pas de lu, déclara le roi en haussant les épaules. Il a enfin compris qui était le plus puissant. C’est donc une nouvelle victoire pour le seigneur soleil…
-Veuillez excuser mon retard, dit soudain une voix surgissant de nulle part, interrompant Hélios dans son monologue. »
Un nuage passa à ce moment devant le soleil et la luminosité baissa drastiquement tandis que tous les regards cherchèrent l’origine de cette mystérieuse voix.
C’est alors qu’un homme apparu en plein milieu du stade, surgissant de nulle part, comme un fantôme. Hélios eut un mouvement de recul mais se reprit très vite. Je vis également Darksky tressaillir à l’arrivée de cet homme. Mais qui n’aurait pas été surpris devant lui ? Même Angéla avait blêmi, elle qui était d’ordinaire si imperturbable face aux démonstrations de force.
« Voyez-vous ça, le grand Shadow décide enfin à pointer son nez, j’ai failli attendre. »
Alors ce type…était Shadow ? Il était assez différent de ce que j’imaginais en réalité. Il était certes grand, mais son visage était celui d’un homme d’une quarantaine d’année, au menton assez large mais aux traits plutôt fins. Sa coiffure était assez singulière également. Aucun cheveu ne dépassait de son front excepté une grande mèche tombant pile entre ses deux yeux et descendant jusqu’à son nez, tandis que de nombreux épis en bataille partaient vers l’arrière de son crâne.
Il portait un long manteau sombre descendant jusqu’au niveau de ses genoux et surmonté d’une sorte de coiffe de plumes grises au col et à ses extrémités.
Même s’il semblait bien cynique envers son adversaire, dans les yeux verts comme l’émeraude de l’homme se lisait toute la haine du monde envers le roi fou.
« Ne te plains pas, Hélios. Tu n’as attendu que quelques minutes alors que moi, j’attends déjà depuis trois ans…l’heure où je pourrai te rendre ce que tu nous as fait ! S’écria Shadow, d’une voix emplie de mépris.
-Allons, allons, tu sais très bien aussi bien que moi que tu n’es pas tout blanc dans cette affaire, monsieur l’émissaire, lui répondit Hélios sans perdre son attitude insouciante. »
Les yeux de l’homme au manteau noir s’enflammèrent lorsqu’Hélios prononça ces mots. La tension était vraiment palpable entre les deux hommes. Ils semblaient avoir un lourd passé en commun, parsemé de différents.
Je me tournai vers Darksky pour trouver quelques réponses, mais il semblait être retombé en transe devant l’affrontement, et les tentatives d’Angéla pour le réveiller ne semblaient pas fonctionner très fort, si bien que je décidai d’abandonner pour le moment.
Alors que les deux combattants s’éloignaient l’un de l’autre en vue du début de leur affrontement mortel, mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. Je retenais ma respiration. Mes doigts tremblaient comme des feuilles. Je suais à grosses gouttes et Théa, celle qui devait me servir de guide, n’était pas dans un meilleur état que moi. https://www.youtube.com/watch?v=Im3HSYzW258 Sur l’écran géant, un compte à rebours apparut. 10 secondes… Nous n’avions plus que dix secondes avant la catastrophe…
Angéla se raidit et se mit en garde, prête à intervenir.
9
Une Shungite atterrit dans ma main et je me tins prête à la briser au premier écart.
8
Darksky activa ses pouvoirs et deux serres prirent la place de ses mains.
7
Violet activa la barrière de protection qui recouvrit le stade tel un fin linceul transparent et fragile.
6, 5
Ma sœur toucha mon pendentif du doigt et il s’illumina d’une lueur à la fois sombre et éclatante.
4,3,2
Le compte à rebours semblait s’accélérer, en même temps que mon cœur sur le point de lâcher.
1
Je lançai un dernier regard à mes partenaires…Puis une sonnerie retentit tandis que le zéro fatidique s’afficha à l’écran.
Au même moment, le visage d’Hélios se fendit d’un rictus maléfique et une aura sombre se mit à flotter tout autour de lui.
Je levai précipitamment la tête et je retins ma respiration : ce que je redoutais arriva. Lentement, le soleil disparaissait derrière l’astre de la nuit. Je me tournai vers Angéla et Darksky et eux aussi grimaçaient en voyant l’éclipse.
Le vent se mit à souffler, puissant et glacial, dénué de vie, presque un blizzard n’apportant que la mort et la désolation. Dans mon monde, une éclipse était quelque chose de normal, un phénomène naturel, mais cette fois-ci, elle avait l’air d’apporter quelque chose d’autre avec l’elle…
Sur le terrain, Hélios se mit à rire et un hiéroglyphe apparut dans son œil. Shadow recula, soudainement inquiet devant les événements.
-Enfin, l’heure est venue, ce que nous attendons depuis maintenant cinq mille ans est sur le point de commencer !
-Nous ? Qu’est-ce que tu racontes Hélios ? As-tu perdu la tête ? S’écria Shadow, perdant son sang-froid.
-Il arrive…Murmura Darksky, fronçant les sourcils.
-Ennemi du soleil, empereur des ténèbres, Divinité maudit de ses pairs, je brise tes chaines qui t’emprisonne et t’ordonne de me donner ta puissance ! Fais trembler ce monde qui t’a injustement banni, Apophis !
-Apo…Phis tu dis ? Bégaya Shadow, blême.
Je vis l’espace entre Shadow et Hélios commencer à se distordre, et une brèche s’ouvrit de nulle part, ne laissant entrevoir qu’un espace rempli de ténèbres impénétrables et d’où la lumière ne pouvait s’échapper. Dans le ciel, la lune avait presque entièrement recouvert le soleil de son ombre et seuls quelques faibles rayons parvenaient encore jusqu’à la terre, nous plongeant dans une obscurité quasi-totale.
Dans les gradins, certains spectateurs commencèrent à prendre peur et tentèrent de partir mais immédiatement, des hommes masqués bloquèrent toutes les sorties, empêchant toute fuite et Hélios se tourna vers la foule, un grand sourire aux lèvres.
-Vous n’allez tout de même pas déjà partir alors que le meilleur est encore à venir !
-Hélios ! S’écria Darksky en frappant la rambarde du stade avec colère.
Dans les yeux de Shadow, on pouvait lire non pas de la peur mais de la haine, comme si l’invocation d’Apophis le rendait furieux.
Je m’apprêtai déjà à intervenir pour mettre fin à tout cela, mais Angéla me retint par le bras et me plaqua au sol.
Un instant plus tard, une violente explosion retentit et balaya notre stand tout entier. Une lumière noire illumina le stade, une boule de feu sombre rasa la pelouse et pendant de longues seconde, tout fut plongé dans le chaos.
La barrière de Violet vola en éclat et des cris de terreur prirent la place des exclamations d’étonnement. Le public avait compris. Il ne s’agissait pas d’un simple spectacle. C’était un combat à mort, et quiconque se trouvait entre les deux hommes n’était qu’une brindille sur leur chemin.
Je m’accrochai tant bien que mal au sol, sous peine d’être balayé moi aussi. Si une bombe nucléaire avait explosé à proximité, je pense sincèrement que cela aurait eu les mêmes conséquences.
Je voulus me relever et braver le cyclone pour protéger les spectateurs mais Angéla me retint à nouveau par le bras.
« Drago, ne fais pas ça, tu ne connais pas le pouvoir d’Osiris, il pourrait se retourner contre toi !
-Mais si je ne fais rien…
-Crois-moi Drago, ne joue pas au héros inconscient. Si les choses tournent mal, tu pourrais le regretter toute ta vie ! Ne fais pas…La même erreur que moi… »
Je m’arrêtai net. Même si ma conscience me disait d’intervenir, les paroles d’Angéla me refreinèrent. Je ne savais pas ce qu’elle avait vécu mais elle semblait avoir bien plus d’expérience que moi en matière de combat et je décidai donc de me fier à son jugement…et d’attendre.
Soudain, le vent dévastateur se calma et je crus que tout était terminé. Mais je me trompais lourdement. https://www.youtube.com/watch?v=k3MoKDa-Lzs Dans la brèche, deux yeux minuscule yeux jaune où se lisaient le mal apparurent. Le sol se mit à trembler, la lune cacha entièrement le soleil, plongeant le stade dans un noir total. La seule source de lumière était ces yeux jaunes sortant de la brèche.
Puis la brèche se mit à s’élargir et laissa passer un long corps de serpent bleu comme la nuit semblant infini, aussi large qu’une baleine bleue. Ses écailles luisaient d’un faible éclat mauve tandis qu’une épaisse fumée grise émanait de son corps…et des flammes qui consumaient tout ce qui avait le malheur d’entrer en contact avec la créature divine.
D’un coup de queue dévastateur, le monstre frappa le sol et un séisme ébranla les gradins. De nouveaux cris de terreur s’élevèrent alors que les tribunes commencèrent à s’effondrer et que des gens disparurent par centaines dans les entrailles de la terre.
« Eh…Dites-moi…Que c’est une blague…Murmura Angéla, pâle comme un linge, ayant perdu toute sa résolution d’un seul coup. Cette chose…Est réellement un Spiritual ? »
Je ne rêvais. J’étais au milieu d’un cauchemar. Et ce cauchemar portait le nom d’Apophis, le dieu déchu mythologique…non, le dieu déchu de chair et de sang désormais contrôlé par l’homme le plus dangereux sur cette terre.
Nous avions…Perdu.
Chapitre 12 : Affrontement titanesque
Spoiler :
Nous avions perdu. Nous ne pouvions pas vaincre cette créature. Personne ne le pouvait. J’étais résigné. J’allais mourir ici, en même temps que ces milliers de gens innocents, sans avoir rien accompli, sans savoir pourquoi j’étais ici, sans avoir pu retrouver mon monde…
Pourtant, alors que j’avais accepté l’idée d’une fin imminente, je voyais Angéla à côté de moi, le regard brillant de peur… mais également d’une détermination sans faille.
Shadow, malgré l’explosion et les flammes qui l’encerclaient, restait parfaitement calme. Il n’avait pas subi une seule égratignure malgré sa proximité avec le serpent divin et seule la haine se lisait sur son visage.
« Alors ce n’était pas du bluff…Tu as vraiment réussi à trouver un dieu…Rugit Shadow.
-Exactement, et tu vas être le premier à subir sa fureur de plus de dix mille ans ! En avant Apophis, Anéantis Shadow ! Chaos Venom ! »
De la gueule de la créature s’échappa un liquide violet qui fusa vers l’ennemi d’Hélios. D’un claquement de doigt, ce-dernier se protégea d’une barrière d’énergie. La salve de venin rebondit sur cet écran sombre et fut déviée droit vers les spectateurs sans défense.
Réagissant au quart de tour, Angéla claqua une Shungite sur le sol et, pendant que les morceaux de pierre noire s’éparpillaient, la jeune fille fut enveloppée par une énergie colossale. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête, son manteau se mit à voler derrière elle tel une longue cape beige, ses yeux bleus s’illuminèrent d’une lueur intense et dans ses mains apparurent deux sphères d’énergie dorée.
« Perfect Shield ! »
Un mur de lumière se dressa tout autour du champ de bataille, protégeant les spectateurs du venin mortel. Et mortel était un faible mot. Car à peine le poison eut-il touché le sol que la terre se mit à brûler et disparut purement et simplement, ne laissant derrière elle qu’un cratère fumant et dénué de vie.
Je déglutis. Sans la réactivité d’Angéla, des milliers d’innocents auraient péri en une fraction de seconde…
Ne se laissant pas impressionner, Hélios ordonna à son reptile de repasser à l’attaque immédiatement. Le colosse se jeta sur Shadow et réduisit en poussière son bouclier d’un simple battement de queue.
Le chef ennemi fut projeté en arrière avec une violence inouïe mais utilisa la limitation du terrain pour rebondir et retomber sur ses jambes avec légèreté.
« Encore…Tu détruis encore tout sur ton passage dans l’espoir d’atteindre ta cible…Cela ne m’étonne même pas de toi, Hélios…Cracha l’homme avec mépris.
-Allons, ne joue pas au justicier entre nous, Shadow, ricana le roi d’un calme tel qu’il me donna des frissons. Ne te l’ai-je pas déjà dit ? Nous partageons des objectifs communs. Alors…
-Silence ! Rugit l’homme au manteau sombre. Tu es celui qui m’a fait ouvrir les yeux sur ce monde, Hélios…Alors pour cette raison, tu vas être le premier à subir ce que je réserve au reste de l’humanité ! »
Lorsqu’il prononça ces mot, l’œil droit de Shadow se mis à briller d’une lueur inquiétante. Tout son corps luisit d’une inquiétante lumière noire et l’air se mit à tourbillonner tout autour de lui.
Le serpent divin tenta de repasser à l’attaque mais le poison fut comme absorbé par cette aura de ténèbres, sous le regard effaré du roi fou.
« Hélios. Sache que tu n’es pas le seul à avoir obtenu un Spiritual Divin !
-Ridicule, un misérable comme toi ne peux avoir…
-Chers Spectateurs du monde entier, observez. Observez la chute du seigneur soleil d’Héliopolis…Et soyez témoin de l’avènement de Shadow ! »
Une onde de choc balaya le stade. La barrière d’Angéla, qui avait survécu miraculeusement aux assauts d’Apophis, se fissura et mon amie grimaça.
« Nourris-toi de la lumière qui t’a donné naissance et renvois ce monde aux ténèbres originelles. Je te libère de ta prison éternelle, Darkness ! »
Le sol devant Shadow se fissura et une lumière noire en sortit. Apophis siffla furieusement mais même lui recula d’un mètre lorsqu’une immense patte noire et griffue sortit des entrailles de la terre. Puis une deuxième, deux ailes immenses et enfin une tête.
Un immense Dragon de pierre noire s’éleva au milieu du stade en proie aux flammes. Il se tenait sur ses pattes arrière. Son regard, rouge, était encore plus maléfique que celui d’Apophis. Ses cornes, il devait en avoir cinq, étaient aussi tranchantes que des couteaux. Comparé à Apophis, il était minuscule mais cela n’empêchait pas le colosse de continuer à reculer et à siffler furieusement.
Lorsque le reptile ailé poussa un rugissement à déchirer les cieux, la Shungite qui se trouvait dans ma main vola en éclats et le regard de Darksky passa de l’incompréhension à la terreur.
« Un Spiritual…Composé de Shungite pure…Murmura-t-il, interdit.
-Tu…Tu es sûr de toi ? S’étrangla Angéla. La Shungite n’est qu’un prototype créé par Violet ! Comment Shadow…
-Non…La Shungite de Violet…N’est qu’une réplique…Une réplique des pierres composant le noyau d’Izrath…Une réplique du pouvoir de Noun…
-Noun…Tu veux dire…Le Spiritual Originel ? Répéta la blonde, livide.
-C…C’est terminé…Nous ne pouvons pas lutter contre ça… »
Tous ces noms ne m’évoquaient rien mais à en juger par les réactions de mes deux partenaires, la situation, déjà catastrophique, venait de virer à l’enfer sur terre. Et le regard d’Hélios ne faisait que confirmer mes craintes. Pour la première fois, je pus lire de la peur dans les yeux du roi.
« Shadow…quelle est cette abomination ?
-On fait moins le fier maintenant ! N’oublie pas qui je suis : Shadow, l’émissaire du démon originel ! Tu n’es rien face à moi, rien du tout !
-Silence ! Tu n’es qu’un misérable Shadow ! Tu veux vraiment que je crois que tu as été élu ? Laisse-moi rire ! Je suis le seul et unique maitre de ce monde et je vais le prouver devant le monde entier !
-Viens, je t’attends, Hélios ! »
Alors que les deux titans se jetaient l’un sur l’autre, ma sœur qui était restée silencieuse jusqu’ici, saisit le sceptre Héqa dans ses mains et immédiatement, le pendentif brilla d’une lueur aveuglante. Le corps translucide de Théa se matérialisa physiquement à mes côtés tandis que l’artefact grandit jusqu’à avoir la taille réelle du bâton emblématique des pharaons.
« Moi, Théa d’Héliopolis, t’ordonne de te montrer et de protéger ce monde des forces obscures qui le menacent ! Descends sur terre, Osiris !
Alors que ma sœur brandissait le sceptre vers le ciel, une lueur bleutée illumina les ténèbres et entoura le stade, venant renforcer le bouclier protecteur d’Angéla.
Un instant plus tard, les pouvoirs de mon amie s’évanouirent et elle posa un genou à terre, à bout de forces, tandis que la barrière érigée par Osiris absorba l’attaque ayant eu raison de la protection de la jeune fille.
Dans les gradins, la panique continuait à semer le Chaos parmi les spectateurs alors que les hommes d’Hélios bloquaient les sorties. Et bien que des membres de la fédération Ether caché parmi les civils aient entamé le combat avec eux, la situation n’évoluait pas. Les hommes d’Hélios résistaient sans broncher aux assauts des employés de Violet, débordés par le nombre et par la panique qui les empêchait de se battre pleinement.
« Reflect Tornado ! »
Darksky sauta devant moi et, utilisant ses propres pouvoirs, dévia une rafale de flammes noires prêtes à s’abattre sur moi.
« Bon sang, nos chances de victoires sont déjà quasi nulles, ce n’est pas le moment de t’endormir Drago ! Me Hurla-t-il.
-Mais…Que pouvons-nous faire ? La situation nous a totalement échappé…
-Meurs ici si tu le souhaite Drago, mais moi, j’ai encore des choses à accomplir, des gens à retrouver, des proches à sauver… Alors si tu es résigné à mourir, très bien mais ne te mets pas en travers de ma route ! »
Ni Hélios, ni Shadow ne semblèrent remarquer notre intervention. Leurs deux monstres continuaient à s’échanger des coups, plus violents les uns que les autres. Apophis enroula son long corps tout autour de celui de Darkness et tenta de l’écraser sous la pression. A ce moment-là, des craquements sourds se firent entendre tandis que de minces filets de lumière blanche s’échappèrent du corps du dragon de pierre.
« Tout le monde, à T… »
Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase que mon intuition se confirma. Une explosion sourde. Une lumière aveuglante. Une chaleur inimaginable. Une tempête de poussière et de terre. Un champignon atomique.
« Time Skip. »
A ce moment-là, le temps s’arrêta. Tout se figea autour de moi. J’ignorais si j’étais le seul à avoir encore conscience du monde mais j’étais incapable de faire le moindre mouvement.
Soudain, alors que le temps ne s’écoulait plus, quelqu’un apparut au milieu de la pelouse dévastée, à la source même de l’explosion.
Avec la distance, je fus incapable de distinguer son visage, dissimulé derrière un masque d’ébène. Cette personne était habillée d’une longue robe sombre de style médiéval, fendue de lignes rougeoyantes. Dans son dos, une longue chevelure sombre flottait au gré du vent inexistant pour moi tandis que, dans sa main gauche brillait une épée dorée.
Lentement, la femme s’approcha de la bombe vivante et posa sa main dessus.
« Ceux qui tentent de modifier l’histoire…doivent-être supprimés de l’histoire. Gardez cela en tête, Hélios, Shadow. »
Une nouvelle lueur aveuglante s’échappa de cette personne… et le temps reprit son cours…Ou presque. En un clignement d’œil, l’explosion qui aurait dû raser le stade, et peut-être même la ville, s’était volatilisée.
Je tombai au sol, abasourdi. Des deux colosses, il ne restait plus rien qu’un stade en ruines. Hélios et Shadow eux-mêmes semblaient choqué de la tournure que venaient de prendre les événements.
« Qui…Qui était cette personne…Bégayai-je.
-Qui ça ? S’étonna Angéla.
-Elle ! Là, sur le stade, la femme qui a arrêté… »
Je m’arrêtai net. Il n’y avait plus personne. L’étrange femme s’était volatilisée de la même façon qu’elle était apparue. Non, je n’avais pas rêvé. Il y avait quelqu’un !
« Théa, tu l’as vue toi aussi ! Dis-moi que tu l’as vue !
-L’explosion…Elle a disparu…Mais comment… »
Etais-je en train de devenir fou ? La peur m’avait-elle fait délirer ? Personne d’autre que moi n’était-il resté conscient pendant l’arrêt du temps ? je ne comprenais plus rien…
Lentement, la barrière érigée par Osiris se dissipa et finalement, la fédération Ether réussit à repousser l’ennemi. Le public s’enfuit sans demander son reste et bientôt, il ne resta plus que nous dans les ruines du plus grand stade du pays.
Hélios et Shadow se retirèrent également sans ajouter un seul mot. La destruction de leurs Spiritual les plus puissants semblait les avoir grandement affectés. Nous aurions pu nous lancer à leur poursuite à cet instant précis mais aucun d’entre nous n’avait la foi de se battre.
Nous n’étions pas prêts. Je n’étais pas prêt. Je le savais depuis mon arrivée ici… Mais voir ces créatures divines s’affronter… venait de me faire réaliser le fossé…non, l’abime qui nous séparait, Hélios et moi.
Et pourtant, je ne comptais pas abandonner malgré la peur qui me nouait le ventre. Au contraire, je n’étais que d’autant plus déterminé à arrêter ces deux cinglés.
Car cette journée m’avait fait réaliser une chose. Ce monde était le mien. J’ignorais s’il était possible pour moi de retourner un jour dans mon monde d’origine… Alors que je le veuille ou non, ma place était ici désormais. Je devais protéger…mon nouveau chez moi.
Chapitre 13 : mensonges et vérité…
Spoiler :
Alors que tout le monde était encore sous le choc de l’affrontement des deux titans, je me précipitai vers l’endroit que Shadow venait de quitter. Comment Laura pouvait-elle s’être alliée à un homme tel que lui ?
Sans notre intervention, le stade entier aurait été détruit, et les spectateurs avec. Et malgré cela, mon ancienne amie n’avait pas levé le petit doigt pour l’arrêter. Elle s’était contentée de regarder calmement, sans même prêter attention aux cris de terreurs et aux pleurs des enfants, prisonniers de cet enfer.
Il me fallait des réponses et ce que m’avait dit Laura ne me satisfaisait pas. Personne ne peut changer à ce point. Je connaissais Laura et elle aurait été la première à tenter de mettre fin à ce combat par ses propres moyens, même si sa vie était en jeu.
Je ne pouvais tout simplement pas concevoir que mon amie d’enfance soit morte, laissant place à cette personne froide et dénuée de sentiments. Il fallait que je découvre la vérité cachée derrière toute cette histoire.
Cependant, alors que j’étais perdu dans mes pensées, cherchant un moyen pour aborder le sujet en finesse, je me heurtai à deux hommes encapés qui se retournèrent et me lancèrent des regards assassins.
Evidemment, les hommes de Shadow…J’avais presque oublié leur présence, étant concentré uniquement sur Laura.
« Eh, le microbe, fais un peu attention où tu mets les pieds, pesta le premier.
-Heureusement que nous sommes de bonne humeur, sinon on t’aurait déjà mis une bonne raclée, enchaina l’autre.
Je soupirai. Je n’étais pas d’humeur à me disputer avec deux ratés dans leur genre. J’étais venu dans le seul et unique but de parler à Laura et faire la lumière sur tout ce qu’elle m’avait dit, je n’avais pas de temps à perdre avec eux.
Les ignorant totalement, je les bousculai afin de me frayer un passage mais une main puissante me retint par le col.
« Eh, on essaie d’être poli avec toi le microbe, la moindre des choses serait de nous respecter un minimum ; protesta le plus grand.
-Je pense qu’une bonne correction pour monsieur « je me fiche de tout » serait la bienvenue, ricana l’autre en faisant craquer ses doigts.
-Je n’ai vraiment pas le temps, soupirai-je en me défaisant de leur prise d’un seul geste. «
Cela eut l’air de les contrarier encore plus que je me sois dégagé aussi facilement alors qu’ils s’apprêtaient à me donner une leçon, mais j’avais vu bien pire avec Hélios. Ces deux gars n’étaient que de la rigolade, une perte de temps tout au plus.
Mais alors que je sentais qu’ils allaient me sauter dessus, une voix les interrompit dans leur élan et ils se figèrent aussitôt.
« Laissez, je m’occupe de cet idiot ; déclara la nouvelle venue.
-A vos ordre mademoiselle Laura ! Répondirent les deux gaillards d’une seule voix avant de se retirer. »
Une fois encore, je me retrouvai face à face avec Laura et je fus à nouveau pétrifié par son regard aussi froid que la glace.
Une fois que ses deux sous-fifres eurent disparu, mon ancienne amie croisa les bras sur sa poitrine et me dévisagea avec mépris.
« Qu’est-ce qui cloche avec toi Michael ? Finit-elle par déclarer. Y a-t-il quelque chose que tu ne comprends pas dans « adieu » ?
-Exactement, il y a bien quelque chose qui m’échappe : comment cette petite fille que j’ai connue à ce tournoi peut-elle me dire adieu sans sourciller ?
-Tu n’as toujours pas saisi ? Tu es décidément bien lent à la détente mon pauvre : cette fille est morte et ne reviendra jamais. Je ne suis plus que haine et destruction, c’est tout ce dont je suis capable après tout, blesser mes proches…
-Si tu dis ça, pourquoi ne m’as-tu toujours pas tué ? Pourquoi continues-tu à m’écouter ? Pourquoi essaies-tu de me raisonner ? Ripostai-je. »
Laura détourna le regard en grimaçant. Apparemment, je venais de toucher un point sensible, mais cette faiblesse venait de me confirmer ce que je pensais : mon amie d’enfance était toujours présente quelque part. Il suffisait juste de la faire ressortir.
« Que veux-tu exactement ? Finit-elle par dire dans un murmure.
-Je veux simplement comprendre ce qui est arrivé à mon amie.
-Un dernier regard en arrière vers ce passé que j’essaie d’oublier ? Je peux bien t’accorder cette dernière faveur comme cadeau d’adieu, en souvenir de ce que tu as été pour moi… »
Laura me tourna le dos et me fit signe de la suivre. J’obéis sans poser de question, voyant uniquement cette occasion qui se présentait à moi et que je devais saisir à tout prix si je voulais avoir une chance de revoir mon ancienne amie.
La jeune fille marcha au milieu des ruines du stade, dans un long couloir dévasté par le combat entre les deux divinités, jusqu’à une petite porte proche de l’entrée du stade que je n’avais pas remarquée en arrivant et entra à l’intérieur de la salle.
La pièce n’était pas très grande. Il n’y avait aucune fenêtre et la seule source de lumière provenait d’une lampe qui pendait du plafond. Contre le mur en face de moi, des dizaines de livres poussiéreux s’entassaient, ainsi que de nombreuses boites tandis qu’au centre se trouvait une petite table en bois et deux chaises.
Au début, je pensais qu’elle m’avait simplement amené dans un placard à balais pour pouvoir parler sans être dérangée, mais je changeai rapidement d’avis en voyant la porte disparaitre purement et simplement lorsque Laura la referma derrière moi.
« Ne pose pas de questions dont tu ne comprendrais pas la réponse, lança la jeune fille avant même que je n’aie eu le temps de dire un mot. »
Elle s’assit sur l’une des chaises et m’invita à prendre la seconde. Cela me faisait étrange de me retrouver à nouveau en face d’elle comme lorsque nous mangions ensemble dans la salle de classe et Laura dut avoir la même pensée que moi car elle passa lentement ses doigts sur la table poussiéreuse, regardant dans le vide, comme si elle nous revoyait, quatre ans auparavant.
« Alors Laura, raconte-moi, que s’est-il passé après ton départ ?
-Tu m’obliges à me souvenir de choses que je préfèrerais oublier, tu es vraiment cruel tu sais…Mais si cela me permet de tirer un trait dessus, je veux bien me remémorer une dernière fois.
-Laura… »
Mon amie prit une grande inspiration et commença son long récit que j’écoutai attentivement, prêtant attention au moindre détail qu’elle évoquait, dans l’espoir de déceler la raison de son changement brutal.
« Lorsque nous nous sommes installés en Angleterre, je pensais pouvoir repartir à zéro, me construire une nouvelle vie sans oublier ces jours que nous avions passés mais c’était impossible. J’avais beau me plonger corps et âme dans la musique avec mon partenaire…J’étais incapable de donner le meilleur de moi-même…et j’ai finalement échoué…Par ma faute, parce que je n’étais pas pleinement concentrée, parce que je pensais à un passé révolu au lieu de penser au présent, nous avons échoué en finale…
-Tu…Tu as échoué…par ma faute ? Bégayai-je interdit.
-Oui. J’étais incapable de jouer une note sans penser à ce que tu aurais pensé de moi, sans me demander si tu aurais aimé, sans craindre d’oublier tout ce que nous avions vécu si nous réussissions, lui et moi…Je ne voulais simplement pas…tourner la page… »
Je restai sans voix. Moi qui pensais qu’elle aurait fini par m’oublier et que j’étais le plus sentimental, je me trompais lourdement. Jamais je n’avais réalisé à quel point Laura tenait à moi tant j’étais aveuglé par le simple fait d’avoir enfin trouvé une amie sincère.
« Il ne m’a jamais pardonné, reprit mon amie d’une voix triste et mélancolique. Alors nous avons coupé les ponts et je me suis isolée. Je n’avais plus d’ami avec qui parler. Plus de compagnon avec qui rire. Plus de confident devant qui pleurer. Je n’avais plus que ma propre famille à qui je ne pouvais parler de mes problèmes par pure fierté. Et alors que je m’étais enfermée dans mon cocon, j’ai été ramenée à la réalité le jour où la brute de l’école, John m’a provoquée en combat, en détruisant ce à quoi je tenais le plus. »
L’expression de Laura se durcit se je vis son poing se resserrer, comme si elle se retenait de laisser exploser une rage enfouie depuis plusieurs années.
« Ce qu’il a fait…Jamais je ne lui ai pardonné, et toujours pas aujourd’hui. Je ne pouvais tout simplement pas laisser passer ça, alors j’ai accepté et je l’ai affronté, guidée uniquement par la rage et la haine que je lui vouais et c’est là que tout a basculé… »
Le ton de Laura changea et je pus discerner à présent comme de la peur de sa voix, ainsi que des regrets et de l’amertume.
« J’ai laissé exploser toute ma colère…et…Je l’ai blessé…Grièvement…Il s’est écrasé contre la tour de big ben…et là…J’ai souri… »
Mon amie s’était mise à trembler de tous ses membres et croisait les bras comme quelqu’un essayant de se réchauffer en hiver.
« J’avais tellement honte de moi…Et j’avais si peur…Qu’avais-je fait ? Quel genre de monstre étais-je devenu pour me complaire dans la souffrance des autres ? Comment avais-je pu me laisser aveugler de la sorte par la rage et la haine ? Se demanda-t-elle à elle-même, oubliant totalement ma présence, quelques larmes commençant à couler sur ses joues. »
Même si je n’avais pas été à ses côtés à ce moment-là, je comprenais exactement le sentiment qu’elle éprouvait. Alors que je n’étais guidé que par la rage, j’avais moi-même éprouvé cela lors de mes premières missions…
Je voulus lui attraper la main pour la réconforter, ne voyant en face de moi que cette petite fille qui n’arrivait plus à se comprendre et qui se détestait d’avoir blessé son camarade. Mais, alors que mes doigts frôlèrent les siens, Laura se reprit et redevint aussi distante.
« Désolée, je me suis encore laissé emporter ; reprit-elle en évitant mon regard.
-Tu n’as pas à t’excuser, au contraire ; lui répondis-je, heureux d’avoir revu mon ancienne amie quelques brefs instants.
-Mais après cela, je… je me suis enfuie de la maison. »
Un temps d’arrêt. Laura avait marqué un temps d’arrêt. Essayait-elle de se souvenir de cet épisode flou de sa mémoire…ou tentait-elle de me dissimuler quelque chose d’inavouable, même à moi ?
« Pour aller où tu me demanderas ? Reprit-elle. Je n’en avais pas la moindre idée. Je voulais simplement partir loin, très loin, le plus loin possible pour ne plus blesser ceux qui m’entouraient. Combien de temps ai-je marché ? Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Je n’avais plus aucune notion du temps, je voulais simplement fuir toute civilisation. Mais comme tu t’en doutes, une enfant n’est pas faite pour voyager seule, et je sentais mes forces diminuer de jour en jour et heureusement pour moi, je fus recueillie par de vieilles connaissances qui m’hébergèrent et prirent soin de moi. Ils étaient si attentionnés…Je les considérais presque comme ma nouvelle famille. »
Laura marqua une pause et leva les yeux vers le plafond, un léger sourire sur les lèvres, un sourire qui me fit chaud au cœur, le premier que je voyais sur sa figure depuis nos retrouvailles. Certes, il ne m’était pas adressé, mais il me confirma que Laura n’était pas celle qu’elle prétendait être. Une part de mon amie d’enfance vivait encore à travers elle.
« Je leur ai promis de revenir les voir un jour…Murmura-t-elle. Mais quoiqu’il en soit, j’ai repris ma route jusqu’à arriver dans une région reculée. Elle ne figurait sur aucune carte routière et je n’avais jamais entendu parler d’un tel endroit malgré sa beauté. Je m’en souviens parfaitement : une vaste prairie s’étendant à l’infini, un petit fleuve la traversant, le tout entouré par une épaisse forêt impénétrable. J’en suis même venue à me demander comment j’avais atterri là. »
Laura plongea à ce moment ses yeux verts dans les miens. Ils dégageaient une telle tristesse et une telle solitude que peinais à soutenir son regard sans broncher.
« Quatre ans. Cela faisait quatre ans que nous nous étions quitté mais ma blessure était toujours aussi profonde dans mon cœur. Et c’est là qu’il est apparu, l’homme que tu connais sous le nom de Shadow. Il m’a fait réaliser la futilité des rêves et leur fragilité et comme pour confirmer ses paroles, j’eus une vision au même moment. »
Je déglutis et une goutte de sueur perla sur mon front. La solitude du regard de Laura venait de se muer en haine farouche à mon égard et je voyais qu’elle faisait tout pour se retenir de m’étrangler sur le champ.
« Je t’ai vu, toi, dans un souterrain, aux côtés de cette fille blonde. Tu la tenais dans tes bras alors qu’elle dormait paisiblement sur tes genoux !
-Qu’est-ce que…Attends Laura, tu te méprends…Cette fille, c’était…
-Tu m’avais promis Darksky…tu m’avais promis d’attendre mon retour…Et pourtant…Pourtant…Tu as… »
Des larmes se mêlèrent à la colère de mon amie. Tout cela était si stupide et tout était de ma faute ! Mais…même si tout jouait contre moi, Laura se trompait et il fallait que je lui fasse comprendre. C’était peut-être ma seule et unique chance de tout arranger.
Cependant, contre toute attente, son attitude changea brutalement et elle se mit à rire nerveusement.
« J’ai vécu toutes ces années avec comme unique objectif de te retrouver un jour et en une seconde, pendant que j’avais le dos tourné, tu as brisé tous mes rêves Darksky ! S’écria-t-elle en abattant son poing sur la table. Shadow a raison, il est inutile de s’accrocher à un idéal, tout ce qui compte est l’instant présent. Il ne suffit pas d’espérer pour atteindre un but, il faut tout faire pour le réaliser, quels que soient les sacrifices nécessaires ! »
Laura se leva brutalement de sa chaise et, ne m’y attendant nullement, je tombais de la mienne. Je frissonnai en voyant le visage fou de Laura au-dessus du mien.
« Michael, sache que depuis ce jour, j’ai trouvé un nouvel objectif grâce à toi ; déclara-t-elle avec une voix lente et un sourire fou.
-Attends Laura, écoute moi je t’en supplie, je peux t’expliquer…
-Encore et toujours sur la défensive ! Tu sais que le fait que tu tentes de te justifier ne fait qu’amplifier ce sentiment de haine et de mépris que j’ai envers toi et ces sentiments que je croyais vrais ?
-Mais tu vas m’écouter à la fin ! Cette fille que tu as vue, oui, elle était dans mes bras, oui tout semble indiquer le contraire, mais crois-moi, Saya ne t’a jamais remplacée ! »
Laura eut un mouvement de recul lorsque je dis cela. Peut-être se rendait-elle compte que je ne mentais nullement et qu’elle était celle qui était dans l’erreur depuis le début, mais je profitai de ce moment de faiblesse pour attaquer à mon tour.
« Ouvre les yeux Laura, c’est une jalousie insensée qui t’a aveuglée depuis tout ce temps ! Il n’y a jamais rien eu entre Saya et moi !
-Non…Shadow…Ne peut pas avoir tort…Tu mens…Comme Hélios lui a menti…
-Ton Shadow te manipule Laura, il se sert de toi pour arriver à ses fins !
-Non…il ne ferait jamais…car Shadow est…Il est… »
Laura se prit la tête dans les mains en titubant. Elle était en plein conflit avec elle-même une fois de plus, mais cette fois-ci, j’étais là, et il était hors de question que je la laisse tomber une seconde fois !
« N’approche pas Michael, je t’interdis de me toucher ! S’exclama-t-elle.
-Mais Laura…
-Va-t’en, tu es en train de me rendre complètement folle !
-Non, je…
-J’ai dit dehors ! »
Laura fut soudainement entourée d’une étrange lueur violette tandis que ses yeux virèrent au rouge sang et une vague d’énergie s’échappa de son corps avant de venir me percuter de plein fouet. Je n’eus pas le temps de réagir et je fus projeté en arrière avec une force incroyable.
Mais, alors que je pensais m’écraser sur le mur, je le traversai simplement comme s’il n’existait pas et je me retrouvai à l’extérieur, de retour dans le stade.
Je ne perdis pas une seconde pour me remettre sur pied et je me précipitai sur le même mur…Sur lequel je rebondis cette fois-ci.
Je jurai.
J’étais si proche du but, comment avais-je pu la laisser m’échapper une nouvelle fois ?
Mais maintenant que je connaissais la cause de sa souffrance, j’étais d’autant plus déterminé à faire revenir mon ancienne amie. Il fallait simplement que je réussisse à la convaincre de m’écouter plus de trente secondes sans me couper la parole…
Dépité d’avoir échoué, je tournai les talons, laissant Laura entre les griffes de Shadow qui, j’en étais sûr, la manipulait comme Hélios m’avait manipulé pour arriver à ses fins.
Sur le chemin du retour, je repensai à tout ce qu’elle m’avait dit et je me rendis compte que ce que j’avais vécu avec ma sœur puis avec Saya n’était rien par rapport à elle…Cependant, je sentais qu’elle me cachait toujours quelque chose.
Je connaissais Laura, du moins mon amie d’enfance, et j’étais persuadé qu’elle était encore présente au moment où elle avait rencontré Shadow. Alors, comment avait-elle pu se laisser embobiner aussi facilement ? Plus j’y pensais et plus je sentais que je m’éloignais de la vérité…
Je finis par retrouver les autres à la sortie du stade. Violet était assaillie par les média désireux de dénicher le scoop du siècle mais tous étaient repoussés fermement par Elwood. La millionnaire était étrangement calme devant ces assauts de journalistes posant des questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres. Son visage ne laissait paraitre aucune émotion, comme si elle était habituée à ce genre de situation.
Avec grande peine, nous réussîmes à nous frayer un chemin au milieu de la foule et à rejoindre la voiture.
Personne ne dit un mot pendant tout le trajet. Violet et Ryoko regardaient frénétiquement leurs portables alors que les nouvelles pleuvaient concernant le fiasco de l’événement, tandis que Drago et Angéla semblaient encore sous le choc de l’affrontement.
De retour au château, la présidente de la fédération fonça jusqu’à son bureau sans se retourner et le professeur lâcha un long soupir.
« Encore…Il faut croire que l’histoire se répète…Déclara-t-il d’une voix éteinte.
-Est-ce que ça va aller pour elle ? Demanda timidement Angéla.
-Ne vous inquiétez pas. Ma chère élève n’est plus l’amatrice qu’elle était il y a vingt ans, elle saura gérer la situation cette fois-ci…Mais je me demande si… »
Le professeur fut interrompu dans sa phrase par un bruissement de feuilles dans les buissons entourant la résidence.
Je me figeai. Encore des hommes de Shadow ou d’Hélios venus se battre ? Ou bien d’autres journalistes avides et sans scrupules ?
« Si c’est encore la télévision, ils vont m’entendre, vous pouvez me croire, grogna Ryoko. J’en ai plus qu’assez de leurs articles à sensation sur Violet. »
Alors que l’homme s’apprêtait à faire sortir le mystérieux journaliste de sa cachette, une ombre surgit d’entre les arbres et le bouscula avant de s’arrêter net en me voyant.
Mon cœur fit de même lorsque je reconnus la personne qui me faisait face : une petite fille vêtue d’un manteau en lambeau, un jean troué et un tee-shirt en lambeaux, aux cheveux noir ébène, autrefois coupés courts mais aujourd’hui aussi longs que ceux d’Angéla, et des yeux tout aussi sombres, un visage rond mais déformé par la fatigue et les joues creuses.
« M…Marie ? Bégayai-je. »
Avant d’avoir pu me répondre, ma sœur perdit connaissance et s’effondra sur le sol.
Chapitre 14 : Marie
Spoiler :
Avant que sa tête ne heurte le sol, je me précipitai sur elle et je réussis à la rattraper in extremis. Cependant, je pouvais sentir son pouls, il était très faible et elle sa respiration était saccadée. Je mis immédiatement ma main sur son front avant de la retirer aussitôt : elle était brûlante.
« Marie ? Cette fille est ta sœur ? S’étonna Angéla, visiblement perdue.
-Oui, mais je vous expliquerai plus tard, pour le moment elle a besoin de soins de toute urgence ! »
Sans poser de question, Elwood prit ma sœur dans ses bras et la transporta en quatrième vitesse dans la salle de soin du château, la même que celle où Violet avait soigné mes blessures.
La propriétaire, en voyant l’état de Marie, cessa immédiatement toutes ses activités et coupa toute communications avec ses partenaires commerciaux qui l’assaillaient de question pour s’occuper de ma sœur.
Dans le salon, je faisais les quatre-cents pas, ne pouvant pas m’asseoir et attendre tranquillement que les choses se passent. Je voulais faire quelque chose aussi, n’importe quoi qui aurait pu aider ma sœur mais Violet nous avait formellement ordonné d’attendre à l’extérieur.
Pendant que je tournais rond, mille questions me tiraillaient l’esprit en plus de mon inquiétude. Comment Marie avait-elle pu s’échapper si elle était prisonnière ? L’était-elle réellement au moins ? Yusei affirmait l’avoir vue, libre de ses mouvements.
Une pensée affreuse me traversa l’esprit. Se pouvait-il qu’elle ait eu la possibilité de s’échapper depuis le début mais restait aux côtés d’Hélios à cause de moi, parce qu’il la menaçait de me faire du mal si elle partait ? Était-ce de ma faute si Marie avait vécu prisonnière de cet homme toutes ces années ? Les dires du professeur ne faisaient que renforcer cette horrible pressentiment…
« Darksky, arrête de tourner, tu me donnes mal à la tête, râla Angéla, allongée sur un canapé.
-Ça se voit que ce n’est pas ta sœur qui est entre la vie et la mort ! Répliquai-je sèchement.
-En effet, mais je sais aussi que ce que tu es en train de faire ne fera qu’abimer la moquette, alors assieds-toi et fais confiance à Violet.
-Qu’est-ce que tu en sais ? Tu as déjà vécu ça peut-être, la peur de la perte de la personne qui t’est le plus proche ? Rétorquai-je en serrant le poing, prêt à laisser exploser ma colère.
-Non, jamais…Mais j’ai perdu celles qui m’étaient le plus proche. »
Ses mots me laissèrent bouche bée. Je n’imaginais pas une seule seconde que derrière son apparente insouciance, Angéla pouvait cacher une telle douleur en elle. Elle devait être vraiment forte pour arriver à dissimuler ses émotions alors que j’étais un livre ouvert.
« Je…Je suis désolé…je ne savais pas… »
Devant mon malaise, la jeune fille se reprit.
-Enfin bon, tout ça pour dire que tu peux me faire confiance : détruire la moquette ne changera rien à la situation, j’ai essayé moi aussi, ça ne les a pas ramenées ; termina-t-elle avec un léger sourire. »
Au même moment, alors que j’allais suivre le conseil d’Angéla, j’entendis une porte s’ouvrir et nous nous retournâmes immédiatement pour voir Violet sortir, accompagnée d’Elwood.
Je ne perdis pas une seconde et je lui posai la question qui me brûlait les lèvres.
« Alors, comment va-t-elle ? Elle va s’en sortir ? Dites-moi qu’elle va se réveiller !
-Calme-toi Darksky, me répondit la jeune femme d’une voix douce. Ta sœur est vivante, mais elle est à bout de force. J’ai fait ce que j’ai pu, mais malgré tout ce que j’ai appris pour sauver des vies, je ne suis pas médecin. Il faudrait quelqu’un de plus expérimenté que moi pour lui donner un traitement approprié. »
Lorsque j’entendis ces mots, mes jambes ne me soutinrent plus et je m’écroulai sur le sol. Presque toute la pression montée pendant toute cette journée venait de retomber d’un seul coup. Marie était vivante, c’est tout ce qui m’importait à ce moment-là.
Quelques larmes se mirent à couler le long de mes joues, mais pour la première fois depuis une éternité, il s’agissait de larmes de joie.
« Je ne veux pas casser l’ambiance, mais trouver un médecin en pleine nuit, ça risque de ne pas être facile et… »
Angéla interrompit Drago en lui donnant un coup de coude dans les côtes avant de déclarer à son tour :
« J’en connais un qui accepterait certainement de se déplacer jusqu’ici.
-Parfait, appelle-le tout de suite ! M’exclamai-je en me relevant d’un bond.
-Mais je dois vous prévenir, je ne suis pas…comment dire…en très bon termes avec lui en ce moment, donc il risque de ne pas être de très bonne humeur, déclara la blonde en grimaçant.
-S’il te plait Angéla ! La suppliai-je.
-Très bien, mais je ne vous promets rien, soupira-t-elle. »
La jeune fille sortit son portable et composa le numéro tandis que mon cœur s’accélérait. La vie de ma sœur dépendait de cet homme et j’espérais sincèrement qu’elle était sûre de ses informations.
Après quelques secondes, un homme décrocha…Ou plutôt hurla dans le téléphone.
« Angéla, je peux savoir où tu étais passée tout ce temps ? Ta mère et moi nous sommes faits un sang d’encre pour toi ! Alors je te préviens, tu as intérêt à appeler pour t’excuser ou alors ce n’est même pas la peine de revenir ! S’égosilla l’homme à l’autre bout du fil.
-Comment ça m’excuser ? C’est entièrement de votre faute tout ça ! S’étrangla Angéla. Si vous n’aviez pas fait autant d’histoires, je serais peut-être restée !
-Notre faute ? Répliqua-t-il. Est-ce que je dois te rappeler que…
-Non, ça ira, mais je vois que cette conversation est inutile, donc au revoir ! »
Sans laisser le temps à l’homme de répondre, Angéla raccrocha et jeta son téléphone sur le canapé, rouge de colère.
« Ce type, je vous jure ! Cracha-t-elle. »
Aucun d’entre nous ne lui répondit et elle pencha la tête sur le côté, surprise devant nos expressions consternées.
« Bah quoi, c’est si surprenant que ça que je sois en conflit avec mon père ? Demanda-t-elle.
-Dis…Angéla, rappelle-nous pourquoi tu as appelé ton père ? Déclara calmement le professeur.
-Bah, pour qu’il vienne soigner la sœur de Darksky et… »
La jeune fille marqua un temps d’arrêt puis écarquilla les yeux en se rendant compte de ce qu’elle venait de faire.
« Je le rappelle, lança-t-elle en reprenant son téléphone.
-Je pense qu’il vaut mieux que je lui parle, l’interrompit Elwood. »
Angéla ne broncha pas et lui laissa son portable avant d’aller s’asseoir dans un coin. J’allais lui demander si tout allait bien mais Drago fut plus rapide que moi.
« Je suis désolée, j’ai encore été trop impulsive, se lamenta-t-elle, la tête dans les bras.
-Angéla, que s’est-il passé pour que tu te fâches ainsi avec ton père ?
-Ah, ça Drago, ce n’est qu’une stupide querelle de famille, une de plus, ne t’en fais pas pour moi, bientôt, tout rentrera dans l’ordre et on n’en parlera plus…
-Tu dis ça comme si c’était une habitude, fis-je remarquer.
-C’est plus compliqué que ça, mon père… »
La jeune fille s’arrêta en plus milieu de sa phrase et me fixa soudainement. Je reculai instinctivement devant ce regard qui ne m’annonçait rien de bon.
« Attention, c’est une histoire qui fait peur, vous êtes sûrs de vouloir l’entendre ?
-Qu…Qu’est-ce qui peut être aussi effrayant dans ta vie ? Bégayai-je, plus très sûr de vouloir entendre la suite.
-Figure-toi que je me suis faite renvoyer de mon lycée ! »
Un court silence suivi sa déclaration comme si Drago et moi attendions qu’elle continue, mais elle semblait avoir terminé son histoire…ou du moins ne pas vouloir en dire plus.
« Et…C’est tout ? Hésita Drago, déconcerté.
-Comment ça « c’est tout ? » Répliqua la jeune fille. Tu n’as pas vu le visage de mon directeur quand il a essayé de me mettre dehors ! Rien que d’y penser, j’en frissonne encore ! »
Sans savoir pourquoi et malgré la gravité de la situation, j’éclatai de rire devant l’expression d’Angéla en imaginant les têtes que les personnages font dans les BD et un léger sourire s’inscrivit sur son visage.
« Tiens, tu as finalement réussi à te détendre un peu, déclara-t-elle.
-Comment ça ? Tout ce que tu nous as raconté était juste destiné à détendre l’atmosphère ?
-Oui…et non Darksky. Je me suis bien faite renvoyer de mon lycée, mais j’avais surtout envie que tu arrêtes de tirer cette tête d’enterrement, c’est déprimant à la longue. »
Je ne pus m’empêcher de sourire à nouveau. Angéla avait raison, grâce à elle, je me sentais un peu mieux désormais. Non pas que je ne m’inquiétais plus pour Marie, mais j’avais pu oublier mes soucis l’espace de quelques instants.
Quand j’y repensais, la dernière fois que j’avais pu rire et sourire aussi bêtement de la sorte, c’était…avec Saya.
Oui, jusqu’à présent, Saya avait été la seule à avoir été capable de me soutenir et me remonter le moral. C’était uniquement grâce à elle que j’avais pu éviter de sombrer dans la folie. Mais étrangement, je ressentais la même sensation d’apaisement aux côtés d’Angéla et Drago. Lorsque j’étais avec eux, mes pensées noires disparaissaient en même temps que la plupart de tous mes tracas pour que je redevienne ce petit garçon maladroit et rêveur que j’étais cinq ans auparavant.
« Merci…Murmurai-je alors.
-Merci pour quoi ? Répéta Angéla, confuse.
-J’ai de la chance de vous avoir rencontrés ce jour-là, me contentai-je de répondre. Il faudra que je vous rende la pareille un jour.
-Et bien, si tu pouvais affronter Hélios en finale à notre place, ça m’arr… »
Drago arrêta Angéla avec un coup de coude dans les côtes et reprit :
« Tu l’as déjà fait en te battant à nos côtés, nous sommes quittes maintenant il me semble.
-Mais si tu veux, tu peux affronter Hélios aussi si tu te sens encore redevable !
-Mais arrête Angéla, il affrontera Hélios s’il se sent prêt ! La rabroua Drago.
-Mais il est prêt je suis sûr, pas vrai ?
-Arrête de faire les questions et les réponses, soupira mon ami. »
Je ris une nouvelle fois devant cette scène de ménage stupide. Je voyais bien qu’Angéla faisait tout pour me changer les idées et que Drago se prêtait volontiers au jeu et cela me faisait chaud au cœur de les voir ainsi. J’avais vraiment de la chance de les avoir rencontrés…
Finalement, après une bonne vingtaine de minutes à se chamailler, Elwood revint dans le salon accompagné d’un homme qui était certainement le père d’Angéla.
C’était un grand homme au crâne dégarni, possédant uniquement quelques cheveux blancs à l’arrière et sur les côtés de la tête. Il possédait les mêmes yeux que sa fille mais son expression était beaucoup plus dure et de nombreuses rides parcouraient son visage.
Lorsqu’il passa devant Angéla, je sentis la tension monter d’un cran entre le père et la fille, c’était presque comme si je voyais des éclairs entre leur regard mais il ne s’arrêta cependant pas et continua son chemin jusqu’à la chambre où se trouvait ma sœur.
Pendant qu’il examinait Marie, je tremblais de tous mes membres. Je m’attendais déjà au pire avec un verdict catastrophique mais, après avoir pris son pouls, sa température et écouté sa respiration, le médecin se tourna vers nous, l’air plutôt détendu.
« Bien, ce n’est pas aussi grave que ce que je pensais en parlant au téléphone, déclara-t-il.
-Donc Marie s’en sortira ? M’exclamai-je, prêt à m’écrouler.
-Oui, il n’y a aucune inquiétude à avoir, ses jours ne sont pas en danger. Elle est juste à bout de forces, déshydratée et manque cruellement de nourriture, mais puisque vous êtes là, elle ne risque rien. Apportez-lui simplement de l’eau et surveillez-là et elle devrait se réveiller d’ici quinze-heures. »
Je n’en croyais pas mes oreilles. Marie était revenue parmi nous, saine et sauve, sans blessure ni maladie…Mes jambes faillirent lâcher une seconde fois, mais je tins bond. Je ne voulais pas paraitre faible si ma sœur venait à se réveiller, elle m’aurait encore lancé des piques toute la soirée sinon…
« Tu vois Darksky, Angéla avait raison, tout a fini par s’arranger, déclara Drago en me souriant.
-Ou…Oui, lui répondis-je d’une voix brisée par l’émotion. »
Tout le monde repassa dans le salon à l’exception d’Angéla qui ne semblait pas avoir envie de rester avec son père, et moi qui préférais rester guetter le réveil de Marie. Cependant, la jeune fille m’avait aidé à surmonter mon angoisse et je me sentais mal de la voir encore en conflit avec son père sans rien faire pour l’aider.
« Tu sais Angéla, tu devrais parler à ton père, finis-je par déclarer après une bonne dizaine de minutes.
-Hein, quoi, parler avec lui ? T’es fou, ça va encore se finir en pugilat ! Répliqua-t-elle, les yeux exorbités. Et puis, il finira bien par se calmer avec le temps comme toujours.
-Mais, tu ne trouves pas ça dommage ?
-Dommage ? Pourquoi donc ? Ce type ne me laisse jamais une seule seconde de répit et est toujours sur mon dos je te signale !
-Et si un jour, pour une raison quelconque, il n’était plus sur ton dos, que ferais-tu ?
-ça voudra dire qu’il a enfin confiance en moi !
-Ce n’est pas cela que je voulais dire. »
Angéla ne répondit pas immédiatement et fixa le parquet quelques instants.
« Tu as perdu tes parents il y a longtemps il me semble, n’est-ce pas ? Finit-elle par déclarer timidement.
-Oui, il y a cinq ans. Ils ont disparu lors d’un voyage… »
La jeune fille laissa un autre blanc avant de répondre :
« Je vois où tu veux en venir et tu as raison, c’est stupide, mais c’est comme ça depuis toujours avec mon père. En réalité, je pense que si un jour il arrêtait de me crier dessus, j’aurais très peur, dit-elle en riant légèrement. »
Elle se leva alors d’un bond et m’adressa un large sourire.
« Allez, je vais faire un effort et faire le premier pas pour une fois ! S’exclama Angéla. »
Sans me laisser le temps de répondre, la jeune fille sortit de la pièce et fila dans le salon. J’étais content d’avoir pu aider mon amie après ce qu’elle avait fait pour moi et puisque je n’entendais aucun cri provenant d’à côté, j’en conclus que cela ne se passait pas trop mal.
Peu à peu, le salon se vida de ses occupants mais je continuai à veiller ma sœur. Mais, alors que je pensais être le dernier réveillé, la porte de la salle de soins s’ouvrit et Drago entra.
« Je venais simplement voir si tout allait bien ici.
-C’est gentil mais même si je le voulais, je ne pourrais pas dormir.
-Je te comprends ; déclara le jeune garçon en s’asseyant à côté de moi. Et au passage, je suis venu te donner un message de la part d’Angéla : elle te remercie pour ce que tu lui as dit.
-ça veut dire qu’elle s’est réconciliée avec son père ? Demandai-je, plein d’espoir. »
Drago prit un air gêné avant de répondre :
« Pas tout à fait. Ils se sont disputés et Angéla est partie bouder dans son coin.
-Dans ce cas-là, pourquoi me remercie-t-elle ?
-Oh, j’imagine que c’est parce qu’elle refusait d’admettre que son père avait raison devant lui mais qu’au fond d’elle, elle le comprenait, me répondit Drago en haussant les épaules.
-Dans ce cas, je suis content d’avoir été utile à quelque chose. C’était le moins que je puisse faire pour elle. Et je dois te remercier aussi pour ce soir.
-Ne t’embête pas avec les remerciements, nous étions aussi inquiets que toi. Mais il se fait tard, demain est une grosse journée encore, ne veille pas trop tard.
-Je suis plus résistant que j’en ai l’air. »
Drago se leva et sortit de la pièce, me laissant à nouveau seul avec ma sœur, toujours dans un profond sommeil et, regardant une vieille photo trainant sur mon téléphone, je repensai à ma partenaire de toujours dans l’armée d’Hélios, l’esprit léger.
« Dis Saya, tu te souviens que tu m’avais souhaité de retrouver ma sœur avant de partir ? On dirait bien que ton souhait s’est réalisé, dis-je à mon ancienne amie, espérant qu’elle pouvait m’entendre. Et toi, as-tu trouvé le bonheur là où tu es maintenant ? Je l’espère sincèrement en tout cas. Et te rappelles-tu de notre exploration ? Je t’avais dit qu’il fallait que tu rencontres Laura un jour et que vous vous entendriez bien…Je me suis trompé apparemment ; continuai-je en riant intérieurement. Mais je suis sûr qu’un jour, je parviendrai à la raisonner, et ce jour-là, je te la présenterai. Enfin, il faudrait d’abord que tu reviennes de ton voyage pour cela…
-Tiens, tu parles tout seul maintenant ? »
Cette voix sarcastique mais si douce…Impossible de s’y tromper…
Je lâchai immédiatement mon portable et mon cœur fit un bond dans ma poitrine en relevant la tête vers le lit où se trouvait ma sœur. Marie venait de se réveiller et me lançait déjà des piques…
Je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer mais je finis par faire les deux à la fois en m’effondrant sur le lit, incapable d’en supporter davantage.
« Bah dis donc, qu’est-ce qui t’arrive encore Michael ? On dirait que tu as vu un fantôme.
-Non…rien…tout va bien désormais… »
Immédiatement, je serrai ma sœur dans mes bras et sous l’effet de surprise, ne protesta pas et déclara d’une voix remplie de joie et de soulagement :
« Je suis enfin rentrée, grand frère. »
Chapitre 15 : le calme avant la tempête
Spoiler :
Une heure du matin : je m’effondrai sur mon lit, vidé de toutes mes forces. Il venait de se passer tant de choses en une seule journée que rien que d’y repenser me donnait mal à la tête. D’abord deux créatures divines, puis la sœur de Darksky qui réapparaissait subitement et enfin la dispute familiale entre Angéla et son père…J’avais vraiment besoin de repos pour pouvoir digérer tout ça… Mais au fond de moi, j’étais assez satisfait. Il n’y avait eu aucun mort à déplorer lors de l’affrontement des deux monstres selon les médias, seuls quelques blessés mais aucun en état critique. La fédération Ether été incroyablement efficace pour contenir les hommes d’Hélios. Marie allait s’en sortir et Angéla, même si elle refusait de l’admettre, avait reconnu sa part de torts au fond d’elle. Tout aurait pu aller bien plus mal… Finalement, épuisé par cette journée éprouvante, je finis par tomber de sommeil et m’endormir tout habillé. Je fus réveillé le lendemain aux aurores par quelques rayons de soleil passant par ma fenêtre. Je n’avais vraiment pas dormi longtemps, mais des bruits de pas provenant du rez-de-chaussée ainsi que le mélange de plusieurs voix attirèrent ma curiosité et me poussèrent à me lever malgré la fatigue. Dans le salon, je trouvai Violet, Elwood et Ryoko courant dans tous les sens à cause des médias qui continuaient à s’affoler sur tous les réseaux sociaux tandis que Darksky prenait son petit déjeuner avec sa sœur, l’air détendu et…Une minute, sa sœur ? Je fis un bond de trois mètres en arrière en réalisant cela et je lâchai un cri de surprise, ce qui attira l’attention de tout le monde sur moi. « Eh, Drago, tu as vu, ma sœur s’est réveillée ! S’exclama Darksky d’un ton bien plus enjoué que d’habitude. -O…Oui, j’ai vu, difficile de ne pas le voir…Bégayai-je, ne sachant quoi répondre. -Drago ? Répéta sa sœur à voix basse en fronçant les sourcils. » Je dévisageai Marie, surpris d’une telle réaction de sa part. La jeune fille me fixait en fronçant les sourcils, l’air pensive. Elle donnait l’impression d’avoir déjà entendu parler de moi, ce qui ne m’aurait pas étonné si elle était captive d’Hélios connaissant l’obsession de ce type pour ma famille… Cependant, après quelques secondes de silence, la sœur de Darksky se détendit et reprit la parole, changeant totalement d’attitude : « Ravie de vous rencontrer ! S’exclama-t-elle avec un grand sourire. – « Vous rencontrer » ? Répéta Darksky, sceptique. Tu t’es déjà présentée à… -Ce n’est pas eux que je saluai, continua sa sœur, sans cesser de sourire. » Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et ma sœur apparut immédiatement à mes côtés, l’air tout aussi consternée que moi. Comment cette fille pouvait-elle savoir pour la présence de Théa ? Je n’en avais parlé à personne ! Pouvait-elle la voir elle aussi ? Comme lisant dans mes pensées, Marie reprit : « Si tu veux savoir, non, je ne vois pas les esprits et je ne lis pas dans les pensées. -C…Comment… -Tes émotions sont tellement visibles, tu es comme un livre ouvert, il en va de même pour la personne qui t’accompagne, lança-t-elle en riant. » Je ne savais vraiment plus quoi penser concernant cette fille. Elle semblait pouvoir deviner toutes mes pensées et toutes mes actions et avait même pu détecter Théa…Peut-être possédait-elle un pouvoir particulier, ce qui aurait expliqué pourquoi Hélios la retenait prisonnière… Mes réflexions furent rapidement interrompues par un bâillement provenant de derrière moi. En me retournant, je vis Angéla encore à moitié endormie, les cheveux en bataille, de grosses cernes entourant ses yeux entrouverts. D’une démarche plus qu’aléatoire, elle parvint miraculeusement jusqu’à la table du salon, s’assit sur une chaise et commença à se servir en céréales tandis que je me prenais la tête dans les bras devant l’aveuglement de la blonde. « Bonjour, Angéla, finit par dire Marie d’une voix tout aussi enjouée que pour moi. Bien dormi ? -Bonjour Marie, répondit-t-elle en baillant. Ça allait, même si je dois t’avouer que quelques heures supplémentaires ne m’auraient pas fait de mal. » Mais, alors qu’elle prenait une cuillerée de céréale, Angéla s’arrêta net et ouvrit enfin les yeux en grand avant de laisser tomber la cuiller qu’elle tenait dans les mains et de recracher tout d’un coup. « Marie !? S’exclama-t-elle, les yeux exorbités. Quand est-ce que tu t’es réveillée ? -Vers deux heures du matin je crois, lui répondit cette dernière en faisant semblant de réfléchir. -Drago, Darksky, vous avez vu, Marie s’est réveillée, mon père avait raison finalement ! -Merci Captain Obvious pour cette information, raillai-je. -J’ai le droit d’être étonnée alors qu’elle était dans le coma hier, rétorqua-t-elle en gonflant les joues. » Marie se remit à rire de bon cœur. Mais Angéla n’avait pas tort, qui aurait cru que la sœur de Darksky se remettrait aussi vite alors qu’elle semblait à moitié morte en arrivant la veille. « Je suis désolé d’interrompre ces heureuses retrouvailles, mais Marie, peux-tu nous expliquer comment tu as réussi à t’échapper ? Lui demanda soudainement Ryoko. -Oh, mais je me souviens de vous, vous étiez ce type qui fabriquait des Shungite pour Hélios, c’est cela ? -Oui, oui, mais passons ce détail peu glorieux, grogna le professeur en serrant les dents. -Pour votre question…Il m’a simplement mis à la porte, répondit Marie en haussant les épaules. -Pourrais-tu…Répéter ça, j’ai peur d’avoir mal compris…Hésita son frère pendant quelques secondes. -Tu as très bien entendu Michael, je me suis simplement servi de mon pouvoir sur Hélios et ça lui a déplu donc il m’a dit de dégager, fin de l’histoire. -Ton…Ton pouvoir ? Bégaya Angéla, déconcertée. -Oh, tu ne leur en as jamais parlé Michael ? S’étonna Marie. » Darksky grimaça, gêné tandis que sa sœur soupira. « Comment tu as pu oublier ça… -Je…Je n’y ai pas pensé, c’est différent, se défendit-il. Et puis, même moi je ne comprends pas ce don que tu possèdes. -C’est pourtant très simple, il me suffit de voir quelqu’un pour comprendre ses véritables sentiments et émotions. Tout le reste n’est que déduction et suppositions. -En effet, c’est très simple, tu crains vraiment Darksky pour ne pas comprendre ça ! S’exclama Angéla. -J…Je ne t’ai rien demandé ! Répliqua-t-il en s’empourprant. -Enfin, vous comprenez pourquoi Hélios m’a enlevée j’imagine, continua Marie en ignorant son frère. Mais bon, c’était amusant, il n’est vraiment pas celui qu’il parait être. -Tu…Tu peux répéter ça s’il te plait ? M’étranglai-je, interdit. -Il vous l’expliquera mieux lui-même j’imagine. » Alors que nous la dévisagions tous comme si elle devenait folle, la sonnette d’entrée retentit et Violet fonça les sourcils, pensant aussitôt à la télévision ou un quelconque journal à sensation venant réclamer sa part du butin dans « l’affaire Ether » comme le drame était appelé sur les réseaux. Elwood se leva prudemment et nous ordonna de rester là où nous étions pendant qu’il allait vérifier qui pouvait être notre invité surprise, et le dégager de force si besoin. Cependant, alors que Darksky, Angéla et moi affichions des mines angoissées, Marie continuait à prendre son petit déjeuner, l’air détendue, comme si de rien n’était. Tout à coup, j’entendis un cri provenant de l’entrée alors que la porte venait de s’ouvrir. Sans perdre une seconde, nous nous précipitâmes tous pour voir ce qui avait pu causer un tel raffut, mais Marie ne bougea pas d’un pouce. Lorsque je vis qui se trouvait sur le pas de la porte, je crus que mon cœur allait s’arrêter de battre. Elwood, Ryoko et Violet étaient prêts à se battre, Angéla serra immédiatement son bracelet et Darksky écarquilla les yeux car, juste devant nous se tenait notre ennemi : Hélios. Etrangement, ce dernier ne nous attaqua pas et resta calmement sur le pas de la porte, penchant la tête sur le côté, comme s’il était surpris d’un tel accueil. Plus étrange encore, il n’était ni accompagné, ni protégé et aucun Spiritual n’était à l’horizon. « Si…Si vous êtes venus reprendre Marie, vous devrez me passer sur le corps ! S’exclama Darksky, prêt à se jeter sur lui s’il bougeait le petit doigt. -Eh bien, quel accueil, on ne sait plus recevoir les gens à cette époque je vois, déclara le roi maléfique d’un ton neutre. -Arrêtez de jouer à l’idiot Hélios et dites-nous ce que vous êtes venu faire ici avant que je ne vous fasse votre fête ! Rétorqua Angéla. -Jouer à l’idiot ? Vous avez de bien drôles de jeux aussi, continua-t-il toujours aussi détendu. -Hélios, que voulez-vous ? Finis-je par lui demander. -Je veux beaucoup de choses mon cher Drago. » Violet décocha un regard noir au roi qui frissonna. « Bon, très bien, je ne suis pas venu ici pour parler, vous l’imaginez bien…du moins, je l’espère pour vous… -Vous allez nous le dire oui ou non ? L’interrompit Angéla. -Si je suis venu ici, c’est parce que j’aimerais me joindre à vous. » Un long silence s’ensuivit, accompagné de réactions diverses. Darksky failli s’étrangler, Angéla éclata de rire, les adultes semblaient sceptiques et j’échangeai des paroles tacites avec ma sœur qui serait sûrement morte une seconde fois si elle avait pu. « Vous…Vous pouvez répéter ? Lui demanda Darksky sous le choc. -Tu as très bien entendu donc je ne le ferai pas. -Pourquoi tout le monde me dit ça, râla ce dernier. -J’imagine que je vais devoir vous expliquer mes raisons, soupira notre ennemi. -Il vaudrait mieux, parce que pour le moment, la réponse est non, lança Angéla sèchement. -Je ne veux pas perdre contre Shadow, voilà tout. -Vous pensez vraiment que nous allons gober quelque chose d’aussi stupide ? M’étranglai-je. -Et pourtant, il dit la vérité. » Nous nous retournâmes tous vers l’endroit d’où provenait la voix ayant prononcé ces paroles insensées et nous vîmes que Marie venait de nous rejoindre, un croissant à la main, observant Hélios avec malice tandis que ce dernier grimaça en la voyant. « ça faisait longtemps Hélios, lança-t-elle comme si elle revoyait un vieil ami. -Pas assez longtemps à mon gout, répondit le roi avec un mouvement de recul. Si je t’ai libérée, ce n’est quand même pas pour te retrouver aussitôt ! -Je pourrais me plaindre moi aussi, j’ai assez vu votre tête et je me serais bien passée de revoir. -Tu ne t’es pas regardée toi, tu avais une mine patibulaire à chaque fois que je venais ! -La faute à qui d’après vous ? » Je regardai ce spectacle digne d’une dispute entre deux enfants de maternelle, interloqué. L’Hélios que nous avions face à nous ne semblait plus que le même que celui ayant invoqué Apophis la veille. Était-ce la véritable personnalité du roi ou essayait-il simplement de nous duper ? En temps normal, j’aurais immédiatement opté pour la seconde option, mais l’attitude de la sœur de Darksky qui l’avait côtoyé tous les jours pendant deux ans me laissait sceptique. Cette conversation qu’ils avaient semblait bien trop spontanée pour qu’il n’y ait que de la comédie. C’était presque comme s’ils avaient l’habitude de se disputer de la sorte… Pendant que les deux gamins se lançaient des piques, je fis signes aux autres de s’approcher discrètement. « Bon, qu’est-ce qu’on fait de ce type alors ? Chuchota Angéla. Si vous voulez, je peux le virer en deux coups de pied au derrière ! -Attends un peu Angéla, si Hélios dit vrai, il pourrait être un allié de choix, répliqua Violet. -Vous êtes en train de suggérer de lui faire confiance ? S’étrangla Darksky. Est-ce que je peux vous rappeler qu’il manipule tout le monde ? -Pourtant…Ta sœur n’a pas l’air très inquiète de le voir, fis-je remarquer en tournant la tête vers Marie et Hélios. -Faites comme vous voulez, mais je vous aurais prévenu, cracha l’ex sous fifre en nous tournant le dos. -J’imagine que dans l’immédiat, nous ne pouvons pas refuser une telle proposition, même si c’est un piège, suggéra Elwood. -Cela ne me plait guère d’accueillir le maitre de Sawyer mais l’avoir à nos côtés me semble une option plus qu’envisageable. Cependant, si cela se sait, tu vas avoir de gros ennuis avec les médias, Violet… -Ne vous inquiétez pas pour moi, professeur. Je suis déjà au fond du trou à cause de cette affaire, je ne peux pas tomber plus bas, s’amusa la propriétaire. De toute façon, ça ne serait pas la première fois que l’on m’accuse à tort, je commence à avoir l’habitude. » Le professeur lâcha un long soupir et finit par accepter l’idée à son tour. Nous nous tournâmes tous en direction d’Hélios qui continuait à se disputer avec la sœur de Darksky et je toussai pour attirer leur attention. « Hélios, nous avons pris notre décision et… -Génial ! Vous avez entendu, on va pouvoir passer encore quelques moments ensemble ! M’interrompit Marie en donnant un coup de coude au roi. -Tout compte fait, je vais m’éclipser je pense, on se revoit bien… » Alors qu’Hélios tentait de s’enfuir, la sœur de Darksky le retint en lui attrapant sa cape et ce dernier s’écrasa face contre terre sous nos regards interdits. Je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer mais plus je restais aux côtés d’Hélios et moins je comprenais ses intentions. « Vous n’irez nulle part, vous avez demandé, vous assumez maintenant, déclara Marie avec un sourire sadique. -Darksky, s’il te plait, dis à ta sœur de me lâcher ! Supplia Hélios qui tentait de ramper pour échapper aux prises de Marie. -Ça vous apprendra à enlever ma sœur, et je vous dis bonne chance avec elle, répondit ce dernier en tournant les talons et rentrant à l’intérieur du manoir. » Devant cette scène ridicule, Angéla s’approcha de moi et me chuchota à l’oreille : « Drago, tu es sûr que nous avons bien fait de recruter un guignol pareil ? Il pourrait être gênant à la longue. -Je ne sais pas, mais je préfère toujours voir ça qu’un dieu maléfique qui détruit tout un stade, soupirai-je, fatigué. -Dans ce cas, je vais aller en rajouter une couche moi aussi ! » Avant même que je n’aie eu le temps de tourner la tête, Angéla se précipita vers Hélios et Marie et fit une sorte de prise de judo au roi qui visiblement, ne s’y attendait pas et se retrouva une fois de plus le nez dans la boue. « Quel étrange spectacle, déclara soudainement Théa, perplexe. Je me demande si quelqu’un ici se souvient de qui est vraiment Hélios. -Je suis sûr qu’ils s’en souviennent tous, et c’est justement pour ça qu’ils agissent de la sorte, lui répondis-je. -Je ne me souvenais pas que tu étais sociologue. -Je ne le suis pas, j’aurais juste agi de la même façon qu’eux à leur place. » Le reste journée passa à peu près de la même façon. Nous avions prévu de nous entrainer pour notre prochain match, mais l’arrivée d’Hélios chamboula nos plans, si bien qu’à la place, nous dûmes faire garderie…du moins, c’est l’impression que j’eus à courir dans tous les sens.
Entre Angéla et Marie qui poursuivaient le roi pour je ne sais quoi, je devais être constamment sur le qui-vive. Heureusement, Darksky semblait bouder dans son coin…même si un peu d’aide aurait été la bienvenue.
Vers dix-sept heures, je finis par m’écrouler dans l’un des fauteuils du salon, trop épuisé pour continuer et je laissai Hélios se débrouiller seul pendant qu’il essayait d’échapper à Marie.
C’était vraiment ce type qui faisait régner la terreur la veille encore ? Difficile à croire même en le voyant. On aurait vraiment dit qu’Hélios possédait deux visages totalement opposés : l’un cruel et sans merci, celui m’ayant attaqué à mon arrivée, et l’autre enfantin, voire même boulet sur les bords, celui que Marie avait dû côtoyer durant sa captivité.
Un souvenir me traversa alors l’esprit. Ce n’était pas la première fois que je remarquai cette double personnalité. Lors de notre duel en duo avec Angéla, Hélios avait également subitement changé d’attitude lorsque cette chose sombre s’était élevée derrière lui…Se pouvait-il qu’Hélios n’ait pas agi seul depuis le début ?
« Hélios, votre petit jeu ne marchera pas avec moi, marmonna Darksky qui me fit sursauter.
-De…Depuis quand tu es là toi ? Bafouillai-je, ne l’ayant même pas vu arriver.
-Drago, rassure-moi et dis-moi que je ne suis pas le seul à douter.
-Je n’ai que très peu de confiance en lui…Mais ta sœur, elle a bien dit qu’elle pouvait voir les véritables intentions des gens ? Si Hélios essayait de nous prendre par surprise, tu ne penses pas qu’elle l’aurait senti depuis le début ?
-Marie ne lit pas dans les pensées, tu l’as entendu toi-même. Il suffit qu’Hélios ait appris à la duper pour qu’on croie justement à sa bonne foi, rétorqua-t-il, toujours aussi méfiant.
-Tu ne penses pas que tu vas un peu loin ? S’il savait faire ça, pourquoi l’aurait-il renvoyée aussi subitement ?
-Va savoir, ce type est tordu, il ne faut pas lui faire confiance. »
Sans ajouter un mot, Darksky tourna les talons et remonta dans sa chambre sans adresser un seul regard au roi qui venait d’entrer dans la pièce, essoufflé. Ce dernier referma précipitamment la porte dans l’espoir d’avoir quelques instants de répit.
-J’aurais mieux fait d’aller régler mes comptes avec Shadow, ça aurait été moins fatigant, haleta-t-il en reprenant son souffle.
« Mais…Qu’est-ce que vous fabriquez depuis tout à l’heure ? Lui demandai-je, curieux de connaitre la raison de tout ce remue-ménage.
-Je crois que Marie veut continuer à lire en moi et Angéla…Je crois qu’elle veut simplement me tuer…
-C’est…Compréhensible après ce que vous avez fait, lui répondis-je sans savoir vraiment quoi dire.
-Ouai, ouai, je sais tout ça, mais j’ai quelque chose d’amplement plus important qui me tracasse !
-Qu…Quoi donc ? Bégayai-je, m’attendant déjà au pire.
-Darksky, je crois qu’il ne me fait pas confiance du tout… »
Je restai quelques instants à fixer Hélios d’un regard vide sans rien dire, ayant eu peur d’avoir compris quelque chose de travers, mais le roi en rajouta une couche.
« Bon, c’est vrai que je l’ai trahi, mais c’est mon f…enfin, maintenant que nous sommes à nouveau dans le même camp, je pense qu’il serait bon que nous nous fassions tous confiance !
-Est-ce que…vous vous êtes entendu au moins ? Soupirai-je, désespéré.
-C’est pour ça que j’ai eu une idée qui devrait nous permettre de nous rapprocher ! Continua Hélios en m’ignorant totalement.
-Je crains déjà le pire…
-Mais je ne te le dis pas tout de suite. Je voudrai juste que demain à la première heure, vous vous rassembliez tous devant le château ! Tu penses pouvoir le faire ?
-Ça sent le plan foireux à plein nez… »
Sur ces belles paroles, Hélios s’éclipsa et Marie et Angéla rentrèrent dans le salon une seconde plus tard.
-Ah vous tombez bien vous deux, demain Hélios nous donne rendez-vous aux aurores devant le château.
-Ce boulet a accepté finalement, il veut sa revanche, il l’aura ! S’exclama Marie en éclatant de rire.
-Se revanche ? Sur quoi ?
-Oh, tu verras demain Angéla, mais on va s’amuser ! Surtout avec Michael, je prépare mon appareil photo. Ça ira dans le dossier que j’ai déjà sur lui !
Je comprenais de moins en moins ce qu’il se passait, mais visiblement, la surprise d’Hélios n’en était pas vraiment une. En un sens, j’étais rassuré. Si Marie savait de quoi il parlait, cela ne pouvait pas être si terrible que ça. Nous allâmes ainsi tous nous coucher de bonne heure après un diner mouvementé entre Hélios qui mangeait comme quatre, Darksky qui faisait la tête et Angéla qui complotait avec Marie dans leur coin. Du moins, c’était ce qui était prévu. Comme je n’arrivais pas à trouver le sommeil, j’avais décidé de me rafraichir l’esprit avec une bonne boisson. Mais alors que je m’apprêtais à remonter dans ma chambre, je vis la porte de la bibliothèque entrouverte et remarquai que la lumière était restée allumée.
Par réflexe, je voulus éteindre la pièce mais alors que je m’en approchai, j’entendis un bruit de papier provenant à l’intérieur, comme si quelqu’un feuilletait un vieil ouvrage.
Je passai timidement la tête à l’intérieur et là, j’y vis le professeur Ryoko, assis à son bureau, les yeux rivés sur ce qui me semblait être un vieil album photos.
Mon arrivée le tira de ses pensées. Il tourna la tête vers moi avant de lâcher un long soupir fatigué.
« Oh, ce n’est que toi Drago. Tu ne dors pas à cette heure-ci ?
-Non, et vous non plus à ce que je vois.
-Oui. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil…Ce qu’il s’est passé hier et aujourd’hui…tout cela me fait remonter de mauvais souvenirs.
-C’est en rapport avec la catastrophe d’il y a vingt ans ? »
D’un signe amical, le professeur me fit signe d’approcher. Je réprimais un hoquet de surprise. L’album photo qu’il tenait entre les mains était ancien. Les photos contenues à l’intérieurs remontaient à vingt ans pour les plus récentes, presque trente pour les plus anciennes. Sur toutes, je pouvais reconnaitre Violet dans sa jeunesse, entourée de personnes souriantes et joyeuses, tantôt à l’école, tantôt dans un laboratoire, tantôt à l’université. Je pouvais également voir sur plusieurs d’entre elles le professeur, à l’époque encore jeune et l’air bien plus déjanté que maintenant.
« Ma pauvre Violet en a traversé des épreuves dans sa vie…
-Dites, professeur, comment avez-vous rencontré Violet si ce n’est pas indiscret ?
-Tu serais prêt à écouter les mémoires d’un vieil homme accablé par les tourments des années, Drago ? Alors assieds-toi, et écoute attentivement. Ecoute l’histoire de cette femme qui a bâti un empire sur les ruines d’un royaume déchu. »
Violet Leblanc, aux origines d’un Empire
Prologue
Spoiler :
Des flammes. De la fumée. Un cratère. Des pleurs. Du sang. De la peur. Des sirènes de pompier. Une odeur nauséabonde de mort. Une immense faille scindant la terre en deux. Un colosse sortant des entrailles de la planète.
Telle était l’image qui me hantait à nouveau. Ce jour-là, ma vie avait basculée. Ce jour-là, le monde avait souffert. Ce jour-là, le destin avait été ébranlé. Ce jour-là, le réacteur de Kvantiki avait implosé.
Tout était allé si vite. Je n’avais rien pu faire pour éviter la catastrophe. Et aujourd’hui, le drame s’était reproduit.
Une fois de plus, malgré tous les efforts, tout le temps et tout l’argent que j’avais mis dans la création de cette fédération, j’avais été incapable de prévenir le chaos.
J’étais assise à mon bureau, dans cette immense pièce qui me servait de chambre désormais, seule, comme je l’avais toujours été depuis vingt ans, perdue dans mes pensées.
Je regardais fixement les trois cadres photos posés devant moi, ces trois photos marquant les trois périodes les plus heureuses de ma vie, avec regret et nostalgie.
A côté de moi, les notifications pleuvaient en masse, dans un flot interrompu de bip sonore. Vingt ans avaient passé et pourtant, rien n’avait évolué.
Mais je ne devais pas me laisser distraire par la bêtise humaine. Dans ce reflet désagréable du passé qui s’offrait à moi, un élément avait changé. Et cet élément, c’était moi, Violet Leblanc.
Je n’étais plus la scientifique naïve et fragile de cette époque. J’étais la présidente et fondatrice de la fédération Ether, l’organisation la plus influente de France, et parmi les plus puissantes mondiales.
Ce scandale à cause d’Hélios n’était qu’une pluie battante dans l’océan que je devais traverser afin de rejoindre l’homme qui avait sombré par ma faute lors du « Purple Requiem » de Yokohama qui avait scindé Tokyo en deux.
Si je devais chavirer, alors j’allais continuer mon périple à la nage. Il était hors de question de s’arrêter après toutes ces années alors que je touchais du doigt mon but.
Tout en repensant au passé, j’attrapai l’un des cadre photo d’une main et ne pus m’empêcher de sourire bêtement en revoyant cette bande de joyeux étudiants que nous étions.
Lentement, je passai mes doigts sur la vitre et m’arrêtai sur le visage d’un de mes anciens camarades en particulier.
« Ne t’inquiète pas, bientôt, je laverai ton nom tout comme tu as lavé le mien, Namatame Soichiro. »
Violet : Naissance
Spoiler :
Une journée comme les autres au laboratoire de l’école venait de commencer. Le club de science, ou plutôt l’équipe technologique et historique de l’académie Rikoukei, s’était rassemblée comme chaque jour afin de planifier les activités pour la fin de l’année qui approchait à grand pas. Nous étions chargés de toute l’organisation – et quand je disais toute, je parlais bien de faire le travail de l’administration à sa place grâce aux brillantes idées de notre bien aimé fondateur – de la cérémonie de fin d’année. Mais entre la théorie et la pratique existait un fossé abyssal et cela faisait maintenant presque une semaine que nos réunions tournaient en rond. Alors que Akame, le savant fou du club, souhaitait utiliser de la TNT en guise de feu d’artifice, Laure, la maniaque de chimie et fan de peluches, penchait plutôt pour le laisser se débrouiller seul. Hakaze, la fiancée de notre superviseur, toujours en troisième année depuis sept ans, voulait faire un copier-coller des sept précédentes cérémonies Masamune, l’homme à tout faire et amateur de thé, voulait transformer ce jour en banquet géant et nous imposait par la même occasion de faire la cuisine pour tous les élèves, professeurs et corps enseignant. J’ignorais ce qui me retenait dans ce club stupide, sincèrement. Heureusement, notre leader, Soichiro Namatame, relevait légèrement le niveau. Il était le plus normal de la bande bien que facilement influençable. Il était encore tôt ce jour-là…enfin, tôt pour cette bande de cas désespérés. Car pour moi, Midi était une heure plus que raisonnable pour commencer les réunions. Mais malheureusement, seuls Soichiro et notre superviseur, le professeur Ryoko Seiu, semblaient partager le même avis que moi. Lorsqu’une explosion au bâtiment principal retentit, je me pris la tête dans les bras et le professeur lâcha un long soupir avant de se lever pour aller constater les dégâts causés par Masamune et Akame. Mon portable vibra au même instant et je reçus un message de Laure qui s’excusait pour leur « retard imprévu ». « Quelle bande de bras cassés, grognai-je sans même ouvrir complètement ce SMS. Qu’est-ce que je fais encore là ?… -Je me le demande moi aussi. Ca doit être au moins la septième fois de la semaine que tu me poses la question, me répondit Soichiro d’une voix légère. -Ce club est stupide. Il ne nous apporte rien de bon à part des heures de colles et des avertissements. -Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi ton fond d’écran est-il cette photo que nous avons prise tous ensemble il y a trois ans ? » Je ne pus m’empêcher de sourire en regardant ladite photo sur mon téléphone. C’était vrai…Pourquoi l’avais-je mise en fond d’écran ? Je ne le savais pas moi-même. Malgré tout ce que je pouvais dire, je me souvenais parfaitement du jour où le club s’était formé. L’enchainement d’action qui lui avait donné naissance était tellement improbable d’un point de vue statistique qu’il n’aurait jamais dû se former… Et pourtant, j’étais là, dans cette chambre miteuse réaménagée en laboratoire, en compagnie de Soichiro, préparant le festival de fin d’année. « Le destin est décidément bien étrange… » Je marchais dans le long couloir de l’académie, un lourd dossier sous le bras, en direction du bureau de direction. L’endroit était tel que me l’imaginais depuis maintenant dix ans. D’immenses baies vitrées, un sol flambant neuf, des murs placardés d’affiches et d’offres d’emplois, une odeur de produit d’entretien embaumant l’air ambiant et des étudiants courant dans tous les sens.
A mon passage, les élèves s’écartaient et les murmures s’élevaient mais je n’y prêtai pas attention. Il fallait dire que je devais paraitre étrange pour eux. Après tout, je n’étais pas habillée de l’uniforme de l’école mais d’une simple blouse de laboratoire au-dessus d’une chemise et d’un jean tout ce qu’il y avait de plus classique.
Et pour cause. Ce jour-là était ma première journée en tant qu’étudiante à Rikoukei, la plus prestigieuse académie scientifique au monde, située à Yokohama, près de Tokyo.
J’avais rendez-vous avec l’un des plus éminents professeurs de l’académie, le professeur Ryoko Seiu, un vieil ami de mes parents, grâce à qui j’avais pu rentrer sans même passer le test d’admissibilité. Après tout, je n’aimais pas le faire valoir auprès des autres, mais j’étais sortie diplômée du bac à quinze ans seulement et ce n’était pas les offres qui manquaient quant à un choix pour mes futures études.
Toute ma vie, j’avais reçu une éducation assez stricte, fortement axée sur les études. Mes parents, bien qu’aimants, n’avaient que peu de temps à me consacrer à cause de leur travail. C’était donc mon majordome, Elwood, qui s’était occupée de moi depuis ma plus jeune enfance.
Malheureusement, être fille de millionnaire avait aussi ses défauts, si bien que peu de gens osaient m’approcher au collège et au lycée, de peur d’avoir des ennuis s’il m’arrivait quoique ce soit. C’était en grande partie pour cela que j’avais choisi de faire mes études supérieures à l’étranger, loin de la France, là où personne ne me connaissait.
Finalement, j’arrivais devant le bureau de celui qui allait devenir mon superviseur. Je frappai trois fois à la porte et une voix grave m’invita à entrer.
Pour quelqu’un qui était l’un des scientifiques les plus éminents de notre siècle, son bureau était franchement… Quelconque. Un petit vingt mètres carrés tout au plus où s’entassaient dossiers éparpillés ainsi que livres et papiers en tous genres. Il n’y avait qu’un bureau, assez petit pour quelqu’un de son rang, et deux chaises pour recevoir ses élèves comme moi. Au moins, il pouvait profiter de la magnifique vue sur la mer et sur la centrale en construction.
Le professeur, lui, était tel que dans mes souvenirs brumeux de lui. Un grand homme d’une trentaine d’année, au visage assez mince et aux longs cheveux tombant sur son front de manière désordonnée. Ses grands yeux bleus respiraient la bienveillance à mon égard.
Il m’attendait, les jambes croisées tout en fixant l’océan, assis sur sa chaise à roulettes, elle aussi, très quelconque.
« Ah, mais si ce n’est pas cette chère Violet Leblanc, déclara-t-il d’une voix franche et heureuse. Je ne t’attendais pas aussi tôt tu sais. Mes parents m’ont à peine prévenu de ton arrivée que je te vois déjà à l’académie !
-Bonjour professeur, lui répondis-je solennellement en m’inclinant. Effectivement, je suis arrivée hier mais si je suis venue au Japon, ce n’est pas pour faire du tourisme.
-Je reconnais bien là le génie que tu es ma chère enfant. Toujours aussi sérieuse, cela fait plaisir à voir ! S’amusa l’homme. La détermination, le travail et le sérieux sont deux valeurs que nous prônons, ici, à l’académie Rikoukei, je suis certain que… »
Au même moment, une explosion provenant de notre bâtiment retentit et coupa la parole au scientifique. Je sursautai, pensant à une attaque mais le professeur, lui, resta de marbre et lâcha simplement un long soupir.
« Masamune…Pourquoi me fais-tu passer encore pour un clown…
-Je vous demande pardon ? C’était normal cette explosion ? M’étonnai-je en fronçant les sourcils.
-Normal, non. Habituel, oui. Mais passons, tu t’y feras très rapidement je pense. »
J’étais sceptique. Pour une première impression dans cet établissement mondialement réputé, il y avait mieux. Mais peut-être était-ce le fameux « esprit d’innovation » qui était le plus grand atout de l’académie. C’est pourquoi, je décidai de ne pas relever.
Rien d’étrange ne survint durant la suite de l’entretien. Après avoir échangé quelques banalités, le professeur prit mon dossier et me donna mon uniforme, ma carte d’accès aux différents bâtiments, mon emploi du temps ainsi que les clés de ma chambre.
« Voila, tu es donc officiellement élève à l’académie Rikoukei ma chère Violet. Si tu as la moindre question, n’hésite pas à me demander. Je passe le plus clair de mon temps dans ce bureau en attendant la construction du nouveau réacteur.
-Justement, j’avais une question professeur. J’ai cru voir que votre club de science possédait une réputation certaine et avait remporté de nombreux prix. J’aimerais beaucoup l’intégrer et participer à ces activités qui me semblent passionnantes. »
Ryoko grimaça lorsque j’évoquais ce club puis se saisit d’un stylo qui se trouvait à sa portée et commença à le faire tourner frénétiquement entre ses doigts d’un air contrarié.
« Je suis effectivement le superviseur de ce club, me répondit-il. Et il reste également de la place…Beaucoup trop de places depuis la dernière promotion.
-Parfait. S’il y a des formalités à remplir, je les ferais sur le champ. »
Ryoko se mordit la lèvre.
« Avant de prendre une mauvaise décision, je t’invite à aller voir par toi-même ce qu’il en est, reprit-il, peu serein. Il y a des choses…qu’il faut voir pour les croire. »
Je penchais la tête sur le côté, intriguée. Pour toute réponse, l’ami de mes parents m’indiqua simplement la salle de club d’une croix rouge sur le plan de l’école, et précisa longuement que l’infirmerie était toute proche en cas de problème.
Sur le moment, je ne compris pas ses paroles et pris la direction qu’il m’avait indiquée, encore ignorante de l’absurdité de ce monde. La salle de club se trouvait légèrement en retrait par rapport à l’académie, dans un bâtiment perdu au milieu des arbres et de la végétation. Si j’y étais allée directement, c’était surtout parce qu’elle se trouvait non loin des dortoirs… pour ne pas dire dans les dortoirs.
Mais alors que j’approchais de ma destination, quelqu’un me bouscula et me fit tomber face contre sol.
Génial. Dès mon premier jour, je me retrouvai couverte de boue alors que j’avais acheté des vêtements flambant neufs pour l’occasion.
Je cherchai du regard l’énergumène qui m’avait bousculée mais tout ce que je vis fut une blouse de laboratoire disparant entre les talus.
J’avais bien envie d’apprendre la politesse à cette personne quand je m’aperçus qu’elle avait laissé tomber quelque chose derrière elle. Une sorte de…barre enroulée dans de l’aluminium.
Lorsque je la pris dans ma main, je constatais qu’elle était chaude. Était-ce son sandwich pour le déjeuner ?
Sans trop savoir pourquoi, je pris l’objet et le mis dans mon sac avant de reprendre ma route.
Je marchais encore cinq bonnes minutes dans cet immense parc, entourée de verdure et bercée par les chants des oiseaux. Les gens étaient peut-être un peu étranges ici mais je devais reconnaitre que le cadre était magnifique. Exactement tel que les brochures le vendaient.
Finalement, j’arrivai devant ce qui était censé être la salle du club de sciences. Un laboratoire futuriste, pleinement équipé des dernières technologies de pointe, flambant neuf et…Et une minute, ce n’était qu’une remise !
Je regardai plusieurs fois le plan que m’avait donné le professeur, à l’endroit, à l’envers, par derrière et même en miroir mais rien n’y faisait. Cette cabane de jardin miteuse était la salle d’opération du plus grand club de sciences au monde.
Pour couronner le tout, le toit semblait avoir explosé récemment. De la fumée s’échappait de la charpente et par terre gisaient quelques tuiles carbonisées.
J’eus un temps d’arrêt. Peut-être devais-je faire demi-tour tout compte fait. J’avais encore pleinement le temps de découvrir les locaux. Après tout, je n’étais qu’à mon premier jour. Je m’étais certainement perdue en chemin. Mieux valait réessayer plus tard et…
Alors que j’avais déjà tourné le dos à ces ruines, prête à repartir, une nouvelle explosion retentit à quelques mètres de moi. Des bouts de verres volèrent tout autour de moi et vinrent se planter dans les troncs d’arbre comme des shurikens.
Je me figeai. Je n’osai plus faire un geste. Un mètre plus à gauche et j’aurais été tuée sur le coup.
Derrière moi, une porte s’ouvrit en grinçant et une voix aigue mais ferme prit la parole.
« Akame, sombre crétin ! Je t’ai demandé du Sodium Solide, pas ton gouter !
-C’est bon, j’ai confondu, ça arrive à tout le monde, Laure ! Geint un autre. J’ai emballé les deux dans de l’aluminium !
-Les…les gars…Je me sens pas bien… »
N’osant toujours pas me retourner, j’entendis ensuite un corps que l’on trainait au sol, puis le bruit de roulettes sur le gravier et enfin, un brancard passa en trombe à côté de moi, poussé par un scientifique aux airs crétins et une fille aux longs cheveux sombres.
Ils continuèrent leur route sans même me voir alors que l’un de leur compagnon gisait sur ce brancard en se plaignant comme un enfant.
Alors que les trois élèves sortaient de mon champ de vision, je restai bouche bée, ne sachant pas si je devais être effarée, effrayée ou juste inquiète pour eux.
« Fais comme si tu n’avais rien vu Violet, cela sera mieux pour tout le monde… »
Je sursautai en entendant mon nom. Cependant, j’avais reconnu cette voix. Et en me retournant, le visage de la personne qui me faisait face me rassura un peu.
C’était celui d’une femme de vingt-cinq ans, aux longs cheveux de feu et aux yeux bleus comme l’azur. Son nez était droit, reflétant ses origines européennes tandis qu’une fine touche de maquillage faisait ressortir ses joues roses comme à son habitude.
Comment je savais tout cela ? Tout simplement car il s’agissait ni plus ni moins que de la femme du professeur Ryoko.
« Hakaze ? M’étonnai-je. Qu’est-ce que tu fais ici ? Et qui étaient…
-Je suis élève de cette école moi aussi, tu ne vois pas mon uniforme ? Me coupa-t-elle joyeusement.
-Elève ? Tu as redoublé combien de fois pour être encore étudiante ?…
-Sept fois ! Répondit fièrement la femme. Et comme tu peux le voir, je suis également membre du club de science de l’école ! »
Elle pointa du doigt une sorte de pins doré accroché à sa blouse de laboratoire représentant une spirale légèrement en relief que je reconnus comme étant le symbole de l’Ether, le cinquième élément.
« Et ne me dis pas que…
-Ah, désolée que tu aies dû voir cela. Les trois personnes qui sont passées sont aussi membres malheureusement… »
Je lâchai un long soupir et me pris la tête dans les mains.
Alors je ne m’étais pas trompée. Je comprenais pourquoi le professeur m’avait avertie. En quelques minutes, l’image que j’avais de la plus prestigieuse académie au monde venait de voler en éclats, et ce, à peine quelques heures après mon arrivée.
« Bien, j’étais contente de te revoir, Hakaze mais je pense que je vais retourner dans mon dortoir, je dois…
-Attends Violet ! Tu étais venue pour voir le club de sciences je me trompe ? Même si les trois idiots sont hors course, je peux te faire visiter !
-Non, vraiment, je ne veux pas…
-Ne fais pas ta timide parce que tu es plus jeune, nous t’accepterons comme tu es ! De toute façon, tout le monde est étrange ici, tu te sentiras bien avec nous !
-Comment ça ? je ne suis pas… »
La femme du professeur ne me laissa pas terminer et m’entraina de force à l’intérieur de la bicoque fumante et sans fenêtre.
Aussitôt, une odeur nauséabonde de Sulfure d’hydrogène, autrement dit d’œuf pourri, envahit mes narines.
Par réflexe, je me couvris le visage avec la manche de ma blouse, espérant juste que la visite soit aussi courte que cette baraque était minable.
De toute façon, il n’y avait plus grand-chose à voir. Tout avait soit brûlé, soit était tellement quelconque que je ne m’attardais pas dessus. Ici, pas de réacteur surpuissant, de machines à RMN ou de microscope à effet tunnel. Rien que des tables, quelques chaises, un tapis brûlé, une cuisine digne d’une apocalypse et…Un garçon assis par terre.
Je m’arrêtai plusieurs secondes sur lui. Il était tellement absorbé par ses travaux qu’il ne nous avait même pas remarquées. A vrai dire, il n’avait même pas l’air d’avoir pris conscience de son environnement de travail.
Il était assez différent de toutes les autres personnes que j’avais croisées jusqu’ici. Ses cheveux étaient coupés courts, presque de façon militaire et laissaient voir un front dégagé ainsi que deux grands yeux verts. Son expression ne laissait paraitre aucune émotion. S’il ne bougeait pas ses mains sur l’objet qu’il étudiait, j’aurais pensé qu’il s’agissait d’une statue.
Hakaze toussa pour attirer l’attention du garçon et il leva finalement la tête vers nous. Et lorsque nos regards se croisèrent, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Ses yeux…Ils dégageaient un charisme certain, une force que peu de personne en ce monde pouvaient se venter de posséder… Mais également une tristesse infinie…
« Toi…là… »
Je sursautai. Sa voix était fidèle à son regard. Lente, grave, remplie de sagesse, comme celle d’un homme ayant surmonté de nombreuses épreuves difficiles pour en être sorti bien plus fort que n’importe qui.
« Je…Je m’appelle Violet Leblanc…Bégayai-je, totalement déroutée.
-Violet, je te présente Soichiro Namatame, le président du club. Tu pourrais être un peu plus amical quand même, gronda Hakaze.
-Alors c’est toi qui as…
-C’est moi qui…Déglutis-je, écrasée par le charisme de l’homme.
-C’est toi qui as ramassé les barres d’Uranium d’Akame… »
Mon cerveau lâcha l’affaire pendant une seconde. Puis, lorsque je réalisais les paroles du Soichiro, un seul mot sortit de ma bouche.
« QUOI ?! »
Violet : Premiers pas
Spoiler :
Hakaze passa plusieurs fois sa main devant mon visage dans l’espoir de me faire revenir à moi mais je n’avais aucune réaction, à la fois parce que j’étais consternée par ce que ce garçon venait de dire, et à la fois parce que j’étais pétrifiée à l’idée d’avoir une substance aussi mortelle à quelques mètres de moi. Sans dire un mot de plus, le dénommé Soichiro se leva et s’empara de la matière radioactive qui dépassait de mon sac, l’empoignant à mains nues sous mes yeux ébahis. Toujours muet comme une carpe, il retourna s’asseoir au milieu du cratère et, après avoir déballé la barre d’uranium sans aucune protection, il la plongea dans l’appareil qu’il était en train de construire. Là, pour la première fois depuis cinq minutes, son visage s’illumina d’un léger sourire lorsqu’il vit une lueur verdâtre émaner de sa boite. « Et bien voilà, ce n’était pas si compliqué que cela finalement. » Agissant comme si nous n’étions pas là, Soichiro continua son expérience et claqua des doigts. Aussitôt, le cube se transforma en une sorte de pierre sombre fluorescente tandis que le sourire de l’homme ne cessait de s’agrandir. Malgré l’absurdité de ce que j’avais devant les yeux, j’étais étrangement fascinée par les travaux de ce fou dangereux. J’ignorais quelle était sa finalité mais en intégrant Rikoukei, c’était ainsi que j’imaginais ma vie. Certes, avec un peu plus de protections, mais l’idée était là. Découvrir, innover, tester, échouer et tout recommencer. Tels étaient les espoirs que j’avais en cette académie. Soudain, le petit objet se mit à fumer avant de disparaitre dans le néant, ne laissant rien derrière lui, pas même une particule de poussière. La pierre avait été purement et simplement annihilée. « Encore raté…Soupira le garçon, dépitée. -C’était impressionnant. Quel était le but de l’expérience ? » Soichiro poussa un cri de surprise et tomba à la renverse. Le pauvre ne m’avait même pas entendue arriver. Mais j’étais tellement intriguée que je n’avais pas pu m’empêcher de me rapprocher de lui pour voir l’expérience de plus près. « Un cube pour canaliser l’énergie, grommela-t-il en guise de réponse. -Avec de l’Uranium ? C’était en quelle matière ? Et pourquoi du nucléaire ? C’était quoi cette transformation étrange ? Sais-tu ce qu’il s’est passé à la fin ? Est-ce que tu pourrais me donner les plans de tes projets pour que j’y jette un œil ? -Je…euh… » Le jeune homme grimaça, gêné tandis qu’Hakaze riait légèrement en nous voyant. Je ne comprenais pas vraiment ce qui avait engendré une telle réaction chez eux, mais je m’en fichais. Je voulais simplement comprendre cette expérience. « Si tu rejoins notre club, tu auras toutes les informations nécessaires, me lança Hakaze, l’œil brillant. Alors, qu’en dis-tu ? » J’étais sur le point d’accepter sans réfléchir lorsque soudain, la porte du laboratoire… ou plutôt le bout de bois qu’il restait, s’ouvrit et se fracassa contre le sol. Nous nous retournâmes en sursaut pour voir entrer le professeur Ryoko, les yeux ronds, l’air, non pas interdit par ce spectacle, mais simplement désespéré. « C’est plus grave que ce que je croyais…Lâcha-t-il d’une voix lasse. Heureusement, personne n’est blessé… -Je crois que Masamune a perdu un œil mon chéri, rectifia Hakaze dans le plus grand des calmes. » Le professeur soupira. « Ça lui apprendra à mélanger le sodium et l’eau. Je lui avais dit que l’énergie libérée était bien trop instable pour être récupérée. Combien de grammes de Sodium au passage ? -500 ? Hasarda la femme du professeur. -500 grammes de gâchés…Au moins il n’a fait exploser que votre laboratoire, c’est déjà ça… -Heureusement que Soichiro avait son spiritual sinon nous étions bons pour l’hôpital ! Lança celle qui se disait adulte dans un grand éclat de rire. » Tout compte fait, j’allais peut-être réfléchir à deux fois avant d’intégrer ce club étrange. Même si certaines expériences semblaient passionnantes, je n’étais pas prête à jouer ma vie avec une bande de cinglées. Cependant, ce que déclara par la suite le professeur me fit réfléchir une troisième fois. « Et sinon mon cher Soichiro, où en est ton réacteur perpétuel ? Ça avance ? -Comme vous pouvez le voir professeur…Je crois qu’à défaut de créer un canalisateur d’énergie, j’ai créé un téléporteur vers Izrath… -A…Attendez, qu’est-ce que c’est que ces histoires ? M’étranglai-je. Un réacteur perpétuel ?! Un téléporteur vers Izrath ?! Vous tentez vraiment de créer de telles choses ici ?! -Ah, Violet, j’avais oublié de te parler de ce détail. Voici Soichiro Namatame, l’esprit le plus brillant de notre Académie. Comme toi, il est entré sur dossier tant ses résultats étaient phénoménaux. Je pense très sincèrement que dans cette pièce sont réunis deux des plus grands esprits de ce siècle ! -En vérité…Je ne comptais pas créer de téléporteur, c’était une simple erreur de calcul. Il faudra que je me replonge dans mes recherches, déclara Soichiro en ignorant totalement les compliments de Ryoko. -Laisse-moi t’aider ! M’exclamai-je alors, des étoiles brillant dans mes yeux. Si tu réussis à construire ce réacteur perpétuel, je veux pouvoir participer à sa conception aussi ! -Je n’aime pas particulièrement travailler en… -Mais c’est une superbe initiative que tu as là Violet ! Je suis heureux de voir que tu t’intègres aussi rapidement parmi ces dégé…euh, je veux dire, au sein de notre académie ! A présent, si tu veux bien m’excuser, je vais voir comment se portent des esprits légèrement moins… brillants et beaucoup plus turbulents… » Sur ces mots, le professeur prit congé, accompagné d’Hakaze qui le suivit jusqu’à l’infirmerie. Ce qui ne laissa plus que Soichiro et moi dans cette salle dévastée. Aussitôt, un profond malaise s’installa entre nous. Le garçon ne semblait vraiment pas aimer communiquer et moi, chaque fois que je le regardais dans les yeux, j’étais écrasée par le charisme qu’il dégageait. Finalement, après de longues minutes de silence gênant, le garçon finit par se lever et alla chercher une petite boite ayant miraculeusement survécu au milieu des débris. Là, il en sortit un pin semblable à celui d’Hakaze et me le tendit sans me regarder. « Bienvenue dans le laboratoire E.T.H.E.R, euh… -Violet. Violet Leblanc, lui répondis-je en prenant son badge, mal à l’aise. -Je te préviens, tu viens de mettre les pieds dans un monde totalement à part. Je te conseille de te préparer si tu ne veux pas devenir aussi folle que les autres membres. -Merci du conseil mais je ne suis pas ici pour me faire des amis, rétorquai-je d’une voix bien plus froide que je ne l’aurais voulu. Je suis ici pour faire avancer la science et aider l’humanité à évoluer dans le bon sens. -Dans ce cas, tu t’es trompé d’adresse. Masamune et les autres font plutôt régresser l’humanité au stade d’homme des cavernes…Me répondit le garçon d’une voix éteinte. Enfin, puisque tu es là, je compte sur toi pour être plus efficace qu’eux, gamine. -Qui est-ce que tu traites de gamine ?! M’offusquai-je. Je suis peut-être plus jeune que toi mais… » Sans me laisser le temps de finir, le garçon me lança un balai que j’attrapai maladroitement tandis qu’il se saisit de l’aspirateur. Je gonflai les joues, frustrée. Si ce type n’avait pas été un génie comme le disait Ryoko, je l’aurais déjà envoyé voir ailleurs. Mais je me contins. Je ne pouvais pas me fâcher dès le premier jour avec la seule personne sensée de ce club bidon. Ainsi, je ne protestai pas et nous passâmes une bonne partie de l’après-midi à nettoyer le bazar mis par les autres membres. Enfin, alors que le soleil commençait à décliner à l’horizon, il ne restait de la catastrophe que des fenêtres brisées et un toit inexistant. « Zephyra. Time Freeze s’il te plait, déclara très calmement le garçon. » Je restai bouche bée, les yeux ronds de stupeur. En un clignement d’œil, la bâtisse fût réparée, ne laissant plus aucune trace de l’explosion. Tout était revenu à son état d’origine… Bon, ce n’était toujours pas le luxe et très semblable à l’environnement détruit, mais au moins, cela ressemblait davantage à une salle de club qu’à un champ de bataille. « Si tu veux savoir, mon Spiritual possède quelques facultés intéressantes. Notamment celles de renverser le temps ou de me protéger des radiations. -Alors…c’est pour ça que tu étais aussi calme tout à l’heure ? -Evidemment. Tu crois réellement que je prendrais à mains nues une barre d’Uranium ? Je ne suis pas aussi inconscient que toi gamine. -A quel moment aurais-je pu penser rationnellement qu’il s’agissait de cela…Grognai-je, encore sous le choc de cette révélation. -Mais à présent que les plans sont réparés, suis-moi, je vais te montrer sur quoi je travaille actuellement. Peut-être que tu pourras m’aider à débloquer la situation. » Ma curiosité prit le dessus sur mon énervement et je rejoignis Soichiro autour de la grande table sur laquelle étaient posées des dizaines de feuilles remplies de calculs, à première vue incompréhensibles pour un esprit normal, mais simplement compliqués pour moi. Du moins, c’était ce que je pensais. Car j’avais beau relire plusieurs fois la première page, une des variables m’était inconnue. « Compliqué n’est-ce pas ? Avec le professeur, nous travaillons actuellement sur un canalisateur d’énergie. Notre but est de trouver une source suffisamment puissante, durable et propre pour alimenter toute la ville. -Cette barre d’Uranium…c’était ça votre solution ? M’étonnai-je. Le nucléaire n’est pas vraiment révolutionnaire… -Pour une scientifique, tu manques clairement d’imagination, rit-il légèrement. En vérité, le téléporteur vers Izrath n’était pas un échec total. -Attends…ne me dis pas que tu voudrais utiliser en tant que source d’énergie… -Du Kvantiki, si. C’est exactement ce que je recherche. » J’écarquillai les yeux. J’avais très souvent lu des articles scientifiques évoquant la possibilité de canaliser l’énergie d’Izrath en tant qu’énergie durable mais aucun projet sérieux n’avait vu le jour jusqu’à aujourd’hui. Il fallait dire que les seules sources connues sur terre étaient ces artefacts mystérieux que nous possédions. Et évidemment, il était interdit de se servir d’êtres vivants comme source d’énergie. Néanmoins, Soichiro était la première personne à réfléchir à un moyen, non pas de récolter du Kvantiki, mais d’aller le chercher directement à la source. Et pour cause, nul n’avait jamais mis les pieds en Izrath. « J’imagine que tu me prends pour un fou toi aussi ? -Non, non, pas du tout ! répondis-je précipitamment. Simplement…Nous n’avons aucune information sur ce monde, alors comment… -Moi j’en ai, rétorqua Soichiro, l’œil brillant. -Co…Comment ?! M’étranglai-je. -Je suis accompagné par deux Spirituals, mais également deux amies de longues dates qui m’aident dans mes projets. Même si elles ne sont pas scientifiques comme moi, elles peuvent m’expliquer le fonctionnement de leur monde. -Je vois…C’est donc pour cela que ces variables ne me parlent pas…Parce qu’elles ne parlent à personne sur terre…Murmurai-je en croisant mes bras sur ma poitrine, pensive. -C’est exact. Mais je peux te les expliquer. En échange de quoi, j’aimerais que tu relises mes calculs pour comprendre d’où vient ma faute. » J’acquiesçai aussitôt, n’ayant pas conscience que ce dans quoi je m’engageai allait être ce que l’on peut appeler, l’œuvre d’une vie. Ainsi, Soichiro passa la soirée à me révéler tout ce que Zephyra et Azéthys, ses deux Spirituals, lui avaient appris sur Izrath, sur le fonctionnement de leur monde, mais aussi sur les liens qui l’unissait à la terre et de quelle façon les Spiritual pouvaient se manifester physiquement. Selon elles, l’artefact n’était qu’une passerelle, un moyen de relier nos deux mondes. Et c’était sur cette théorie simple que se fondait tout le raisonnement de mon nouveau camarade de club. Son but : créer un artefact relié, non pas à un Spiritual, mais au noyau d’Izrath lui-même. Ce projet pouvait parait fou et irréalisable aux premiers abords, et pourtant, mon âme de scientifique voulait y croire. J’avais vu de mes propres yeux ce cube disparaitre de notre monde. Soichiro avait déjà réussi à créer une passerelle entre nos mondes, à créer un artefact artificiel somme toute. Pouvoir le relier à une entité en particulier devait être faisable également. Et désormais, c’était à moi, Violet Leblanc, qu’incombait la tâche de relire ces travaux qui, je le pensais sincèrement, pouvaient changer la face du monde à jamais. Le soleil ayant disparu derrière l’horizon, je décidai de ne pas plus trainer et reprendre ces travaux le lendemain. Je remerciai Soichiro et m’éclipsai rapidement en direction de ma propre chambre. Cette journée, bien qu’étrange, avait déjà été riche en enseignement, et ce, alors que les cours n’avaient même pas encore commencé. Cette année s’annonçait plutôt intéressante. Rikoukei méritait bien sa réputation d’école à part dans la société. Comme promis, je revins le lendemain aux aurores pour commencer mes recherches. Cependant, ce jour-là, ce ne fut pas Soichiro qui m’accueillit mais trois apprentis sorciers ; je n’avais pas d’autres mots pour les décrire, autour de la grande table.
Ils ne semblaient pas m’avoir entendue rentrer tant ils étaient occupés par leur expérience, visiblement passionnante.
Le groupe se composait des trois personnes que j’avais vues sortir en brancard la veille. Un garçon aux airs abrutis, coiffé de façon ridicule où tous ses cheveux étaient tirés vers l’arrière grâce à je ne sais quel gel poisseux, parlait fort et hurlait des mots incompréhensibles. Il avait l’air, disons-le, vraiment dérangé avec sa blouse blanche beaucoup trop longue pour lui et son sourire de savant fou.
A côté de lui, un autre garçon, plus baraqué, au visage carré et aux cheveux en bataille retenu par un bandeau pourpre mangeait tranquillement son sandwich au-dessus du bécher d’expérience. Je remarquai aussi une longue balafre sous son œil gauche, encore rouge, signe qu’elle était récente.
Enfin, la dernière, une jeune fille de dix-sept ans, aux longs cheveux couleur corbeau, insultait joyeusement et sans retenue ses deux camarades. Son langage verbal tranchait d’ailleurs beaucoup avec son apparence. Son visage avait des traits plutôt doux. Ses yeux sombres pétillaient de malice et ses lèvres étaient recouvertes d’une fine couche de rouge à lèvre qui faisait ressortir sa bouche au milieu de son teint clair.
Intriguée, je m’approchai d’eux pour voir de plus près leur étrange expérience… et je me figeai. Le bécher était rempli d’une substance noire et pétillante, légèrement acide, plus communément appelée coca-cola. Le garçon au bandeau tenait dans sa main un tube de mentos tandis que le crétin de la bande jouait joyeusement avec du sodium solide.
« Dites, vous êtes sûrs que c’est une bonne idée ? Hasarda le balafré. Parce que hier on a bien failli…
-On ne contredit pas Akame Shintarou, le scientifique qui va révolutionner le monde ! Laure, ma chère, verse l’explosif dans la solution je te prie !
-Si tu continues à me parler sur ce ton, c’est la solution que je vais verser sur toi sombre crétin. »
Sans précaution, aucune, la jeune fille s’empara des deux bombes et les lâcha juste au-dessus du bécher. Avec une réactivité surhumaine, je m’emparai de cet engin de mort et le jeta contre le mur, juste avant que les deux composés n’entre en contact avec le coca.
Les trois fous regardèrent longuement leur expérience s’écouler sur le sol avec des regards dépités, ne comprenant pas ce qui venait de se passer.
« Non mais ça va pas vous trois ! M’écriai-je rouge de colère, le cœur battant à tout rompre. C’était quoi cette expérience, vous vouliez faire sauter l’île ou quoi ?!
-Et bien c’était une possibilité évoquée par Masamune, oui, me répondit naturellement la fille en haussant les épaules.
-Selon mes calculs, seul cet endroit aurait sauté mais grâce au canalisateur d’énergie d’Akame, nous aurions pu avoir de quoi alimenter toute l’école pendant une semaine !
-Et toi, jeune fille aux cheveux de paille, qui es-tu pour venir interrompre cette expérience de la plus haute importance ? Me demanda l’abruti en chef d’une voix excessivement grave. »
Je soupirai et pris au maximum sur moi. Ce n’était qu’un mauvais à passer, une épreuve à surmonter si je voulais mener à bien mes recherches. Je devais rester calme et faire comme si tout était normal.
« Je m’appelle Violet Leblanc. J’ai intégré votre asi…Euh, je veux dire votre club hier, je suis ra…ra…ravie de vous rencontrer. »
Chaque mot que je prononçai était un supplice. Je n’avais qu’une envie, m’éloigner au plus vite d’eux.
« C’est étrange. Personne ne nous a parlé d’un nouveau membre. Serais-tu…une espionne du CERN jeune fille ?! »
Je me retins de frapper au visage cet abruti qui commençait à me taper sur les nerfs.
« Allons Akame, pour l’amour du ciel, tous les élèves de cette école ne sont pas des espions du CERN ! S’écria Laure. »
Je souris. Au moins, il y avait une personne un peu plus sensée dans cette pièce…Du moins, c’était ce que je croyais…
« N’oublie pas que les USA et le Népal ont aussi leurs espions, tu ne peux pas tout mettre sur le dos du CERN !
-Le…Népal ? Répétai-je, interdite par l’absurdité de cette déclaration.
-Oui. J’ai lu sur internet qu’un complot de grande envergure se préparait là-bas. Nous devons être capable de faire face à…
-Je m’en fiche ! La coupai-je, à bout. Je suis simplement ici pour aider Soichiro dans ses recherches !
-Soichiro ? Est-ce que vous pensez que Soichiro est aussi un agent Népalais ? Demanda l’idiot au bandeau au reste de la bande. »
Je me pris la tête dans les bras tout en lâchant un long soupir. Ces trois excentriques étaient réellement en train de débattre sur cette question…
Alors que j’étais sur le point de devenir aussi folle que ces trois-là, la porte s’ouvrit derrière nous et je crois que jamais je ne fus aussi heureuse qu’à cet instant précis de voir débarquer le professeur Ryoko. Il était accompagné de sa femme ainsi que de Soichiro. Tous trois semblaient abasourdis par la scène qui se tenait devant eux.
« Qu’est-ce…Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? Murmura le professeur, les yeux ronds.
-Ces trois là sont en train de se demander si…
-C’est la première fois depuis le début de l’année…la première fois que je rentre dans cette pièce et que je ne sens pas une odeur de brûlé… »
Un instant plus tard, Ryoko éclata en sanglots tandis que sa femme sortit un mouchoir de sa poche, tout aussi émue que lui.
Soichiro ignora royalement le remue-ménage et s’installa à la grande table avant de sortir à nouveau les plans de son canalisateur et de s’y plonger pleinement.
Je décidai d’agir de la même façon que la seule personne sensée dans ce laboratoire de fou et me plongeai dans les calculs auprès du meilleur élève de l’académie.
Ainsi passa la matinée. J’étais tellement absorbée par mon travail que je ne vis pas les heures passer. L’étude de Soichiro était réellement passionnante. Elle mêlait la théorie de l’effet tunnel aux pouvoirs des Spirituals et la mécanique quantique en général afin d’ouvrir les mêmes passerelles qu’utilisaient les Esprits pour venir dans notre monde. Telle était la première grande étape de son projet titanesque.
C’était fascinant. Tout bonnement fascinant. Jamais de toute ma vie je n’avais lu de pareilles équations. Soichiro n’était pas seulement un brillant élève premier de la classe. Il possédait également un esprit d’innovation hors du commun et n’hésitait pas à prendre des chemins détournés pour arriver à ses fins.
Pour la première fois, j’eus l’impression de rencontrer un vrai rival, quelqu’un capable de me faire de l’ombre, une personne…à part. Je ne devais pas me laisser distancer. Je me devais d’inscrire mon nom dans l’histoire à côté du sien. Car j’en étais persuadée. Ce garçon aux allures de prolétaire, discret et peu bavard…pouvait changer le monde.
Alors que Ryoko, Soichiro et moi étions perdus dans le monde des mathématiques et de la physique, Hakaze arrêta les activités de chacun afin de servir le déjeuner.
Ce n’était pas du grand luxe, simplement des sandwichs de la cafétéria, mais cela me faisait étrange de manger en compagnie du club.
Depuis toujours, c’était Elwood qui me préparait mes repas et je mangeai seule, dans ce grand château qui me servait de maison. Mes parents ne m’avaient jamais inscrite à la cantine, c’est pourquoi, lors des sorties scolaires, je me retrouvai souvent seule dans mon coin, à regarder les autres de loin rire et s’amuser ensemble autour de sandwich et de chips bon marché, rêvant de les rejoindre sans en trouver le courage.
C’est pourquoi, ce premier repas, même entourée d’une bande d’abrutis fini, faisait battre mon cœur à tout rompre dans ma poitrine et je savourai chaque bouchée de ce pain sans gout.
Pendant ce cours laps de temps, je pus faire plus ample connaissance avec mes nouveaux « camarades » de club.
Masamune Nishijima était rentré dans cet école dans l’espoir de travailler plus tard dans la police scientifique. Il semblait être un très grand fan de toutes ces séries policières que je ne regardais pas. J’appris également que sa cicatrice était l’œuvre, non pas d’une expérience, mais de Laure qui lui avait jeté de l’acide sulfurique sur le visage après qu’il avoir un malaise.
Cette dernière, quant à elle, malgré ses airs de fille parfaite et son langage de tueuse à gages, désirait travailler dans la médecine légale. Elle avait beau insulter ses deux amis en permanence, elle semblait très concernée par leur sort et s’inquiétait tout particulièrement de l’avenir d’Akame. Le savant autoproclamé fou, ne désirait que renverser les standards de la société et instaurer un nouvel ordre mondial…ou quelque chose du genre, je n’avais pas tout compris.
Je ne parlais que très peu de mes origines pour ma part. Je n’avais pas envie que les mêmes phénomènes qu’au lycée ne se reproduisent ici. J’avais été tellement isolée pendant cette période que je n’avais gardé qu’une seule amie durant toute ma scolarité en la personne de May. Si j’étais venue au Japon, c’était bien pour rester discrète et commencer une nouvelle vie.
Ryoko l’avait bien compris lui aussi et avait falsifié tous mes dossiers pour que je ne sois plus qu’une simple étudiante étrange, simplement venue son invitation.
Vers trois heures de l’après-midi, je pensais que nous allions reprendre toutes nos activités, ou même aller en cours pour une fois mais Akame, le chef de ce laboratoire, et également locataire de cette chambre, eut une autre idée.
« Bien, à présent en tant que président de l’équipe technologique et historique de l’école Rikoukei, moi, Akame, déclare qu’il est grand temps de…prendre une photo collective pour que notre laboratoire reste dans les archives comme étant le plus grand que l’école n’ait jamais connu !
-Il dit ça mais c’est uniquement parce que l’administration lui a demandé, ricana Laure.
-En effet, vous êtes le seul club n’ayant encore rendu aucun dossier, reprit Ryoko en sortant une cigarette. C’est pourquoi… »
Le professeur se fit couper la parole par Hakaze qui s’empara du briquet de l’homme avant de le jeter par la fenêtre.
« C’est pourquoi nous allons réaliser une photo de groupe et jeter toutes ces horreurs, n’est-ce pas chéri ? »
Il lâcha un long soupir puis abandonna la bataille devant le regard assassin de sa femme.
Comprenant que ce n’était pas simplement un délire de l’abruti en chef mais une formalité administrative, je ne protestai pas.
Ainsi, nous nous assîmes tous autour de la grande table, chacun en blouse de laboratoire tandis que des fioles remplies de colorant alimentaires étaient disposées devant nous.
C’était amusant. J’avais souvent vu des photos de ce club de science dans les brochures de l’école mais je ne m’étais jamais imaginée en faire partie un jour.
« A trois, vous souriez à la caméra ! Nous lança Ryoko avant de nous rejoindre. »
Me souvenant des photos des années précédentes, je souris à pleine dents. Cependant, tout ne se passa pas comme prévu.
Akame, dans un élan de bêtise insondable, jugea bon de rire fort et d’écarter les bras pour faire voler sa blouse devant lui. Il poussa dans la foulée Masamune qui tomba sur Laure de tout son poids. La jeune fille, furieuse, le repoussa et je fus entrainée avec lui dans sa chute. Ma tête heurta celle de Soichiro tandis que les fioles de colorant se répandirent sur nos blouses.
Un Flash lumineux immortalisa cet instant, figeant à jamais l’idiotie de ce club.
C’est ainsi que le lendemain, notre photo fut affichée dans les couloirs de l’école, aux côtés de celles des autres associations et je ne pus m’empêcher de me couvrir le visage de mes mains tant j’avais honte.
Soichiro et moi étions à terre, les blouses devenues multicolores à cause des fioles. Laure avait le regard d’une tueuse. Masamune avait été pris lors de sa chute. Akame avait l’air d’un fou à rire seul au milieu du chaos. Hakaze s’esclaffait seule un peu à l’écart et le professeur regardait la scène, gêné. Oui. Tel avait été mon premier jour au sein d’E.T.H.E.R, le club de science de l’académie. Les années avaient passé. Le club avait évolué. Nous avions appris, plus ou moins, à nous supporter les uns les autres. Soichiro et moi avions découvert de nombreuses choses lors de nos travaux et notre projet de réacteur Kvantiki se concrétisait peu à peu.
Explosions, incendies et blessures étaient devenus mon quotidien, un quotidien malgré tout précieux, dans lequel chaque instant était unique, marqué par des rires et des peurs, des réussites et des échecs, des moments de complicité et de tension, des instants de camaraderie et de rivalité.
Et avant même que je ne m’en rende compte, nous nous étions retrouvés là, en troisième année, à organiser cette cérémonie de clôture qui devait marquer pour nous la fin d’un cycle, la fin d’un club, la fin de l’équipe technologique et historique de l’école Rikoukei, la fin de notre collaboration à Soichiro et à moi.
Mais c’était également pour cette raison que je comptais faire de cette journée…la plus belle et la plus mémorable de ces trois courtes années.
Violet : Jeunesse
Spoiler :
Nous y étions. Le grand jour était finalement arrivé. Le jour fatidique où tout allait prendre fin…et où tout allait recommencer.
Nous avions miraculeusement trouvé un accord sur l’organisation de la soirée. Ryoko avait réussi à mobiliser les autres associations de l’école afin de nous prêter main forte tandis qu’Hakaze avait fait jouer ses anciens contacts pour récolter quelques fonds supplémentaires et surtout, de la main d’œuvre.
De son côté, Akame amusait les foules, montrant des expériences toutes plus farfelues les unes que les autres, sous l’œil attentif de Laure qui n’hésitait pas à le tourner en ridicule sur la place public. Enfin, Masamune servait du thé toute la journée, comme il l’avait promis, grâce à notre dernière invention à Soichiro et moi. Ce n’était pas grand-chose, simplement une sorte de machine à café géante mais qui prenait des sachets de thé à la place des grains de café. Mais au moins, nous étions capables de satisfaire tout le monde.
Pour ma part, avec mon rival et ami, nous n’avions aucun rôle en particulier, autre que d’animer cette soirée et d’accueillir les invités dans le bâtiment principal.
Pour l’occasion, nous avions tous sorti nos plus beaux habits. Fini les blouses de laboratoire sales et trouées à cause des explosions. Ce soir-là, j’avais enfin pu remettre ces vêtements qui trainaient depuis trois ans dans mon armoire.
C’est ainsi que je me présentai à la soirée, sous les exclamations de mes camarades. Il fallait dire que pour eux, je n’étais qu’une fille étrange, de deux ans plus jeunes que les autres, trainant avec les abrutis de l’académie et légèrement excentrique sur les bords en plus d’être première de la promotion.
Mais ce soir-là, cette jeune fille avait laissé place à la Violet que mes parents s’étaient efforcés d’éduquer, à savoir l’héritière d’une des plus grandes et fortunées familles de France.
Je m’avançai lentement sous les regards ébahis des autres élèves. Ma longue robe noire parsemée de paillettes scintillantes flottait à quelques mètres du sol grâce à de fines chaussures à talons haut tandis qu’un vent frais me caressait agréablement ma jambe gauche laissée apparente. Pour couvrir mes épaules dénudées et éviter d’attraper un rhume la veille de la remise des diplômes, j’avais décidé de me couvrir d’un châle sombre de fausse fourrure qui entourait mon cou mais qui laissait entrevoir le long pendentif de cristal en forme de spirale qui pendait sur ma poitrine.
Oui, pour cette occasion, j’avais demandé à ce que chacun des membres du club possède, non pas le badge en toc d’Akame, mais une version légèrement plus…précieuse de notre symbole.
Alors que j’approchai des portes du bâtiment principal, je passai ma main gantée dans mes longs cheveux soigneusement coiffés et légèrement frisés pour ce jour si spécial, afin de les passer tous sur mon épaule gauche.
Là, Soichiro m’attendait. Il avait bien changé depuis notre première rencontre. Ses cheveux avaient poussé de manière désordonnée, son visage était devenu plus mature, ses épaules plus larges mais ses yeux, eux, étaient restés les mêmes.
Mon cœur s’emballa. Le charisme qui dégageait en temps normal était décuplé par le costume sobre et clair, mais élégant qu’il portait ce soir-là. Etant d’une famille pauvre, il n’avait pas les moyens de se payer un véritable smoking mais pour moi, ce deux-pièces trouvé dans une friperie dans les bas-fonds de Yokohama lui donnait l’allure d’un vrai prince.
Je m’arrêtai devant lui et il s’inclina poliment.
« Eh bien gamine, tu en as mis du temps, on n’attendait plus que toi, me lança-t-il d’une voix grave.
-Personne ne t’as demandé de m’attendre, vieux ronchon. Je devais nettoyer la dernière explosion d’Akame. »
Ne lui laissant pas avoir le dernier mot, je sortis la clé et ouvris les portes de la salle de bal. Là, nous mîmes nos rivalités de côté le temps de quelques heures, au moins pour accueillir les étudiants.
L’événement était un franc succès. La salle était pleine à craquer. Des chercheurs reconnus du monde entier étaient également venus à la cérémonie sous l’invitation de Ryoko. A lui aussi, il s’agissait de sa dernière année à l’académie Rikoukei. La construction du réacteur Kvantiki était quasiment terminée et il devait emménager là-bas très prochainement. Il en allait de même que Soichiro.
Ce garçon aux allures frêles mais au charisme écrasant avait réussi. A peine diplômé il avait déjà trouvé un travail stable et reconnu dans le monde entier.
J’étais vraiment heureuse pour lui. Il avait finalement réalisé son rêve. Après tant d’années de dur labeur, son travail était enfin récompensé à sa juste valeur.
La soirée avança conformément à nos prévisions. Pour une fois, aucune explosion, aucun incendie, aucun, aucun blessé grave ne vint troubler cette fête préparée avec minutie.
Mais alors que minuit, l’heure du feu d’artifice de Masamune, approchait, je vis Soichiro s’éclipser discrètement.
Intriguée, je confiai la suite des opérations à Akame – ce qui, après réflexion, n’était peut-être pas l’idée du siècle – et suivis mon partenaire.
Heureusement pour moi, je savais déjà vers où se dirigeait et mon intuition ne me trompa pas. Le leader du groupe s’arrêta sur un rocher à l’écart de toute agitation, faisant face à la mer, et s’assit simplement là pour ne plus en bouger.
Je lâchai un soupir et vins le rejoindre sans faire un bruit. Lorsque je m’installai à côté de lui, le jeune garçon ne notifia même pas ma présence et continua à scruter fixement l’océan, le regard perdu dans les ténèbres de la nuit.
Il faisait frais ce soir là et un vent léger soufflait sur l’île mais ce n’était pas désagréable. Au loin, je pouvais entendre que la fête battait son plein et devant nous, seul le fracas des vagues contre les rochers venait briser le silence de la nuit.
Nous restâmes là, assis sur la grève, sans nous dire un mot, savourant simplement cette dernière soirée à l’académie.
« Dis, Soichiro, tu te souviens de ton arrivée ici ? Finis-je par déclarer d’une voix nostalgique.
-Non…Mais je me souviens de la tienne, me répondit-il toujours sans me regarder. Jamais je n’oublierai cette gamine de quinze ans qui se baladait avec de l’Uranium dans son sac.
-Je t’ai déjà dit cent fois que…Et puis zut, tu sais très bien la vérité. »
Soichiro rit légèrement.
« Quand même…Cela fait déjà trois ans…Et pourtant, j’ai l’impression que j’ai intégré le club hier à peine…
-Pareil pour moi, repris-je en levant la tête vers le ciel constellé d’étoiles. Peut-être est-ce parce que nous sommes tellement plongés dans nos recherches que nous ne voyons pas le temps passer. »
Mon ami ne me répondit rien.
« Au fait, je voulais te féliciter ! Tu vas pouvoir travailler avec le professeur en tant que véritable scientifique maintenant, c’est génial !
-Et toi, Violet…Pourquoi as-tu refusé ? »
Je me crispai. Alors comme ça, les nouvelles allaient vite… Mais j’aurais dû m’y attendre. Lorsque j’avais décliné l’offre de Ryoko, celui-ci avait frôlé la crise cardiaque. Après tout, son projet était peut-être l’avenir de l’humanité. N’importe qui aurait tué pour avoir son nom inscrit dans l’histoire aux côtés d’Einstein et de Newton.
Mais ce n’était pas ce que je désirais. Ce projet n’était pas le mien. C’était celui de Ryoko et Soichiro. Je n’avais fait que me greffer à eux. Je refusais d’obtenir une médaille ou une quelconque distinction pour un travail de relecture.
Je soupirai, ne pouvant me résoudre à lui dire la vérité.
« Je…Je me disais que j’allais peut-être retourner en France. J’aime énormément le Japon et Tokyo…Mais je…j’ai sûrement le mal du pays, lui répondis-je avec un rire forcé. »
Silence.
« Je…Vois…si ce n’est que ça… »
Soichiro, tout en prononçant ces mots, sortit une petite boite fermée par un fin ruban rouge de sa poche et me la tendit en rougissant.
« Joyeux dix-neuvième anniversaire, gami…je veux dire Violet. »
Je rougis. En trois ans, j’avais pris l’habitude de recevoir des cadeaux de la part des membres du club. Après tout, en tant que cadette du groupe, tous me portaient une attention particulière mais il s’agissait toujours de présents groupés. Alors que cette fois-ci, il s’agissait de celui de Soichiro en personne.
Tremblante, j’attrapai la petite boite et défis le nœud avec délicatesse. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. Je savais bien que mon rival était fauché, alors cette marque d’attention pour moi qui ne demandais jamais rien signifiait énormément.
Je marquai un temps d’arrêt en soulevant le couvercle. A l’intérieur reposait, sur un coussin de velours, une unique pierre noire et irrégulière, une Shungite.
J’étais sceptique. Ces pierres, abondantes sur l’îles, nous avaient servi pour nos premières expériences pour finalement nous rendre compte qu’il s’agissait d’excellents réservoirs de Kvantiki. C’est ainsi que nous en avions modifié des dizaines par la suite, simplement au cas où.
Je saisis le caillou entre mes doigts, cherchant une particularité, mais rien. Il s’agissait d’une simple pierre comme celle sur laquelle nous étions assis.
« Euh…Merci Soichiro…Je suis…Touchée…Enfin, je crois…
-Avant de jeter mon cadeau à la mer, essaie de la briser entre tes mains, s’amusa le jeune garçon. »
Intriguée, je m’exécutai… Et ce qu’il se passa à ce moment me laissa sans voix. Alors que les morceaux de pierre se dispersaient dans la pénombre, un vif éclat de lumière fusa vers le ciel et m’aveugla. Et lorsqu’il se dissipa, le caillou sombre s’était métamorphosé en un fin anneau doré lévitant à quelques millimètres au-dessus de ma paume.
Je regardai Soichiro avec des yeux ronds, interdite.
« Tu sais…Je me suis toujours dit que nous avions un chemin tout tracé, une voie que nous devions suivre, un destin si tu préfères…Et je pense qu’en refusant ce travail, tu t’éloignes de ta destinée. »
C’est alors qu’il se leva et mis un genou à terre pour me prendre tendrement ma main dans la sienne avant de plonger son regard dans le mien.
« N’y vas pas. Reste avec nous…reste avec moi, Violet, ici, à Tokyo. Travaillons ensemble, main dans la main, côte à côte, pour toujours. Nous avons encore tant de choses à découvrir, tant d’inventions à tester, tant de gens à sauver grâce au réacteur Kvantiki…J’ai…J’ai besoin de toi, non pas en tant qu’amie, non pas en tant que partenaire, non pas en tant que rivale…Mais en tant que femme…une femme qui pourra me guider et éclairer le destin qu’Il a tracé pour nous. »
Je retins mes larmes.
Et alors que j’étais sur le point de lui donner ma réponse sans hésitation, une fusée éclata dans le ciel et attira nos regards. La nuit noire, froide et sinistre venait de s’illuminer de dizaines, non, de centaines de fleurs lumineuses, brillant dans le ciel comme des soleils miniatures.
Le vacarme de la TNT de Masamune était tel qu’il était inenvisageable de répondre à Soichiro par des mots.
C’est pourquoi, je me contentai d’enlever mon gant droit, de prendre l’anneau entre mon pouce et l’index…Et de le passer autour de mon annulaire devant le visage illuminé de joie de mon nouveau fiancé.
Violet : Adolescence
Spoiler :
https://www.youtube.com/watch?v=rIwl2cDwStw Ainsi commença ma nouvelle vie en tant que scientifique. Après la remise des diplômes, E.T.H.E.R s’était séparé. Chacun avait décidé de suivre sa propre voie.
Masamune et Laure s’étaient dirigés vers la médecine et la police scientifique, si bien qu’ils s’étaient retrouvés tous deux une fois de plus dans la même université, au grand dam de la pauvre fille.
Akame avait tout simplement disparu de la circulation. Même s’il resurgissait de temps en temps, il nous était impossible de savoir ce qu’il devenait précisément. Certains pensaient qu’il s’était reconverti en trafiquant de drogue, d’autres le voyaient espion du CERN depuis le début, et Soichiro le croyait simplement chômeur à plein temps.
Hakaze, elle, avait choisi cette voie toute particulière de l’enseignement. Après tout, elle avait passé tellement de temps derrière les bancs de l’école qu’elle ne pouvait plus se passer de ces salles de classes poussiéreuses et bruyantes. De temps à autres, elle apportait ses connaissances scientifiques à l’équipe dont nous faisions partie, mon ancien rival et désormais fiancé, Soichiro Namatame, mon professeur, superviseur de club et ami de mes parents, Ryoko Seiu, et l’héritière d’une des plus grandes fortunes de France, moi, Violet Leblanc.
Jusqu’à mes vingt-quatre ans, nous nous efforçâmes de terminer complètement le réacteur Kvantiki tout en continuant à rechercher un moyen de canaliser l’énergie d’Izrath dans notre monde.
Lors de nos travaux, nous fîmes de nombreuses découvertes intéressantes qui nous valurent de nombreux prix internationaux. C’est ainsi que nous nous forgeâmes une réputation certaine dans la communauté scientifique internationale qui fut obligée de reconnaitre notre efficacité et nos prouesses.
Très rapidement, le gouvernement s’intéressa également de très près à nos recherches et nous envoya de nombreux fonds qui étaient les bienvenus. Jusque-là, je puisais sur ma fortune personnelle afin de financer nos projets mais, bien que millionnaire, certaines expériences étaient juste hors de la portée de la fortune d’un particulier.
Malheureusement, ces travaux étaient chronophages et nous empêchait de développer une vraie relation. C’est pourquoi, Soichiro et moi étions toujours fiancés même après tout ce temps. Mais cela ne semblait déranger aucun de nous deux. Nous étions passionnés par notre travail et nous aimions le réaliser ensemble, c’était tout ce qui comptait.
Et c’est ainsi que ces années de travaux acharnés portèrent leurs fruits. Le jour des vingt-six-ans de mon fiancé, nous réussîmes à créer le premier réacteur Kvantiki opérationnel.
Enfin. Après près de dix ans, notre rêve se concrétisait enfin. Nous avions créé un artefact artificiel et nous l’avions relié au noyau d’Izrath, apportant ainsi à la terre toute l’énergie nécessaire pour faire tourner des villes, même des pays tout entier, avec une énergie propre, durable et surtout, sans danger.
Du moins, c’était ce que nous pensions. Devant notre succès, notre équipe grandit de façon exponentielle et de nombreux partenaires commerciaux s’intéressèrent à nos réacteurs.
Ce fut cette popularité montante qui transforma notre doux rêve en cauchemar. Tout se passa très vite. Le projet « Hakaze », dirigé par le professeur Ryoko – car il avait réellement nommé son projet du nom de sa femme – devait être la plus grande révolution depuis l’invention de la machine à vapeur. C’est pourquoi, nos partenaires avaient investi des millions…mais nous avaient également forcé à accueillir en notre sein deux nouveaux membres : Les frères Ricky et Romain Sawyer.
Immédiatement, je sentis que ce projet partait avec une épine dans le pied. Nos nouveaux collaborateurs se montraient autoritaires, voire tyranniques avec nos employés. Très rapidement, tous se désistèrent, ne laissant plus que nous cinq sur ce projet grandiose.
Les catastrophes se succédèrent, les tensions se firent sentir au sein de ce qu’il restait de notre équipe et bientôt, deux camps se formèrent. Ryoko, Soichiro et moi ne désirions plus que stopper ce projet et éviter un cataclysme. Mais les frères Sawyer, eux, voulaient continuer à tout prix, alors que même la centrale de Tchernobyl paraissait plus stable que le réacteur principal.
Nous tentâmes à plusieurs reprises de faire pression sur le gouvernement et sur nos partenaires pour arrêter cette folie mais il n’y avait rien à faire. Les dirigeants étaient aveuglés par le pouvoir, et refusaient surtout de perdre tout l’argent qu’ils avaient investi.
Alors le projet se poursuivit…Nous rapprochant lentement de la fin du monde.
Dans un geste désespéré, Ryoko tenta de saboter le réacteur manuellement mais ce-dernier fut pris sur le fait, arrêté et démis de ses fonctions. De plus éminent professeur de ce siècle, mon mentor devint un paria dans la communauté scientifique, rejeté de tous. Mais cela ne l’arrêta pas. Même détesté par le monde entier, sa priorité était la sécurité de sa femme et de son enfant à naitre. C’est pourquoi, il nous chargea de continuer son œuvre.
Mais, nos efforts furent tout aussi vains que les siens. Le réacteur s’emballa. Une lumière mauve enveloppa la ville…Et tout disparut.
L’académie, les laboratoires, la ville elle-même, tout fut balayé dans un sifflement assourdissant par ce qui fut retenu par la suite sous le sinistre nom de « Purple Requiem. »
Je fus miraculeusement sauvée de la catastrophe par le Spiritual de Soichiro mais intérieurement, l’explosion m’avait détruite. Et lorsque Romain Sawyer prit la parole à la télévision le lendemain, ce traitre m’accusa de tous les maux qui venaient de s’abattre sur la ville.
Dans une tentative désespérée pour m’empêcher de sombrer, Soichiro attisa toute la haine sur lui, se rendant responsable de « l’erreur » qui avait provoqué ce rayon mortel. Ainsi, mon nom fut sauvé mais celui de Soichiro resta depuis lors salis par les paroles d’un seul homme, un homme à qui je vouais désormais une haine incommensurable, un homme que je me jurai de rayer de la planète, tout comme il avait rayé les espoirs d’un monde entier.
Cette haine fut décuplée lorsque je découvris le lendemain que mon ancienne amie, tutrice, professeur et collègue, Hakaze, avait péri dans le tragique événement, comme des milliers d’autres innocents.
C’en était trop pour moi. Je ne pouvais pas rester ici plus longtemps. Il fallait que je retourne en France, que je fasse éclater la vérité au grand jour, que je lave les noms de Soichiro et Ryoko, que je crée quelque chose capable de rivaliser avec l’influence médiatique de cette ordure de Romain Sawyer…et surtout, il fallait que me fasse à cette idée…que ma vie n’allait plus jamais être heureuse tant que les flammes de la vengeance consumeraient mon âme.
Je fis part des mes projets au professeur, qui, lui aussi, était dévasté, bien plus que Soichiro ou moi. C’est pourquoi, il ne fut pas difficile à convaincre.
Quelques jours après la catastrophe, je fis mes adieux à Soichiro, dans cette même église ou nous nous étions fiancés, huit ans plus tôt. Evidemment, il tenta de me retenir, de venir avec moi même, mais sa place était ici, au japon. Et ce, je me devais de le lui faire comprendre.
« Au revoir, Soichiro. Jamais je n’aimerais un homme autant que je ne t’ai aimé. »
Chaque parole que je prononçais me brûlait la gorge mais c’était mieux ainsi. Je me levai, enlevai l’anneau d’or que je portais autour de mon doigt depuis huit ans, le passai à travers les trous du parloir…et sortis de cette église sans me retourner, car je savais qu’au moment-même où je poserais les yeux dessus, l’allais être incapable de m’enfuir.
« Adieu, Tokyo. Adieu, E.T.H.E.R. Adieu, Soichiro, mon amour. »
Puis je partis rejoindre le professeur à l’aéroport en direction de Paris, là où tout avait commencé…et ou recommencera. https://www.youtube.com/watch?v=bbss_iQEX9I Cela me faisait étrange de revenir sur le sol français, dix ans après mon départ. L’aéroport n’avait pas changé, ni même les gens d’ailleurs. Il y avait toujours ce désordre et cette agitation perpétuels à l’annonce de vols retardés, reportés ou supprimés. Les gens nous bousculaient sans s’excuser. D’autres manifestaient en plein milieu du hall d’entrée. D’autres encore couraient pour attraper un avion de dernière minute.
Oui. Ici, tout était identique au jour où j’avais quitté la France. Le Purple Requiem n’avait nullement affecté la vie de tous ces gens. La vie continuait son cours, imperturbablement.
Ce fut sur le quai de débarquement que je fis finalement mes adieux au professeur.
« Bien…Je crois que nos chemins à nous se séparent également, professeur, déclarai-je tristement.
-Ne m’appelle plus comme ça, Violet, je ne suis plus qu’un ami désormais. J’ai perdu ce titre le jour où j’ai accepté que les frères Sawyer imposent leur loi, me répondit-il en se forçant à sourire.
-Qu’importe si vous deviez vous reconvertir en vendeur à la sauvette, vous resteriez tout de même pour moi mon mentor, mon superviseur de club et mon collègue, Ryoko. »
Ce-dernier, submergé par l’émotion, me prit dans ses bras et me serra contre lui, comme un père réconfortant un enfant sur le point d’éclater en sanglots.
« Ne fais rien de stupide ma petite Violet, me lança-t-il d’une voix brisée par l’émotion. Nous avons déjà perdu notre travail, nos rêves, nos amis, nos réputations et nos familles…Ne m’impose pas de te perdre toi aussi mon enfant.
-Dites…Professeur…Est-ce que vous pensez…Est-ce que vous pensez que la catastrophe s’est produite parce qu’elle devait se produire…Ou bien par notre seule et unique faute ? … »
Un temps de silence me répondit, temps pendant lequel le professeur ne me lâcha pas et resserra son étreinte contre lui.
« Tu sais…Violet. Il est impossible de changer le passé…
-Je le sais, professeur, c’est vous qui m’avez appris les lois de la physique de notre monde…
-Oui…Les lois de la physique…de notre monde…Ces lois…Qui peuvent-être différentes ailleurs… »
Sur le moment, je ne compris pas ce que mon ancien mentor voulait me dire et il ne développa pas davantage sa pensée.
Ce furent les dernières paroles qu’il me prononça avant de prendre sa route, et moi la mienne. Il partait pour Genève, au CERN, là où d’anciens collègues du projet Hakaze avaient trouvé refuge et lui avaient gardé une place. Quant à moi, je pris la direction de mon ancienne demeure, là où j’avais grandi, seule, isolée du reste du monde.
Le taxi me déposa en pleine campagne et je décidai de terminer à pieds. Ainsi, je remontai cette longue, longue allée de platanes qui menait directement au château. Tout était une fois de plus comme dans mes souvenirs.
Le silence régnait. Des champs de colza s’étendaient à perte de vue. Le chemin était ombragé, ne laissant passer que quelques rares rayons de soleil à travers l’épais talus de feuille qui couvrait ma tête. Un vent chaud et sec soufflait sur ma peau. L’air était lourd mais le ciel d’un bleu éclatant sans un seul nuage à l’horizon, exactement comme tous ces étés que j’avais passés ici.
J’arrivai devant le portail après dix minutes de marche lente, à me remémorer tous les souvenirs que je possédais dans cette immense bâtisse qui me faisait face. Ce château d’un blanc immaculé bien trop grand pour une seule personne, cette façade sculptée selon mes désirs d’enfant, cette fontaine ornant le parc, à l’arrêt depuis bientôt dix ans…Tout était comme dans mes souvenirs brumeux.
Ici non plus, le Purple Requiem n’avait pas eu d’impact.
La main tremblante, je sortis la clé de ma poche et poussai ce lourd portail rouillé qui s’ouvrit en grinçant. https://www.youtube.com/watch?v=EsMTLkuMBp4 Mon cœur s’accéléra au fur et à mesure que j’avançai sur ces graviers si familiers. J’étais partie d’ici, des rêves plein la tête, des espoirs dans mon cœur et l’envie de m’instruire dans la peau…Et je ne revenais qu’avec une valise à moitié vide, usée par les âges.
D’un pas lourd, je montais les marches du parvis et m’arrêtai devant cette porte monumentale que j’avais franchie tant de fois, seule. Et, alors que je pensais revenir un jour ici avec Soichiro, je m’apprêtai une fois de plus à la franchir sans personne pour m’accompagner.
Mais, alors que j’allais introduire la clé dans la serrure, le portique s’ouvrit tout seul et me laissa découvrir le visage si familier d’Elwood, se tenant debout au milieu du hall d’entrée, un sourire triste illuminant son visage désormais rongé par les années.
« Bienvenue chez vous, Mademoiselle Violet, me lança-t-il en s’inclinant. »
A ce moment-là, je ne pus me retenir d’avantage et ce fut le visage couvert de larmes de tristesse, de joie, de nostalgie et de regret que je me jetai dans ses bras et lui répondis.
« Je suis rentrée, Elwood. »
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