Chapitre 191: Les dernières heures du royaume
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Le ciel d’Izrath était aussi brillant qu’il ne l’était habituellement. Le soleil brillait toujours sur les contrées du sanctuaire céleste, inondant de sa majestueuse puissance l’univers dont j’avais la responsabilité depuis la nuit des temps. Depuis les étoiles, je sondais les environs, ainsi que Jidou, leur monde à eux, les humains.
Zetsubô avait été vaincu par sa propre descendance. C’était ironique que notre conflit s’achève ainsi, mais c’était pour le mieux. Par un tour de force de sa part, il avait cependant réussi à tous nous entraîner avec lui, nous habitants d’Izrath. Nous étions sur le point de disparaître. Au pinacle de notre vie. Nous allions mourir, sans laisser aucune trace de notre existence en ce monde. L’ensemble de notre univers allait tout simplement s’écrouler en conséquence de la défaite de Zetsubô.
Mais je ne sentais ni tristesse, ni regret, ni haine dans mon royaume. Ma haute autorité me permettait de ressentir des tas de choses provenant des habitants d’Izrath, mais rien ne m’indiquait une quelconque haine ou animosité se dégageant d’eux. Je soupirai. Comment pouvaient-ils tous être unis face à cette épreuve, sans remettre en cause le jugement qui s’abattait sur nous tous ?
Car oui, c’était un jugement injuste dépourvu de rationalité. Un seul homme avait décidé de condamner l’ensemble du royaume, ainsi que toutes nos vies dans la foulée. Un peuple allait mourir au profit d’un autre, sans que l’on lui ait demandé quoi que ce soit. Et au lieu de se rebeller contre ma personne, me blâmer, ou tout simplement vouloir se venger, ils restaient tous sereins et acceptaient la mort. Cela me laissait un arrière-goût dans la gueule.
Je quittai Procyon, avant de descendre dans les terres d’Izrath afin de survoler une dernière fois ces lieux que j’aimais tant. Il fallait que je m’assure que personne ne soit effrayé, que personne ne se sente seul, ou dans le besoin. C’était là mon ultime tâche en tant que gestionnaire de ce monde.
Les âmes en Izrath commençaient déjà leur ascendance. Une pluie de lumière s’élevant vers le ciel était la preuve que tout prenait fin. L’histoire de notre civilisation était menée à terme. Du désert citrine, aux plaines de l’améthyste, tout était en train de disparaître.
Je survolai le désert dans lequel avaient été bannis les Izrathiens d’attribut reptile. J’y retrouvai la reine du domaine, Vénominaga, la déesse des serpents venimeux, accompagnée par son homologue du présent, Toratura. La première des deux était face à son royaume, leur souriant tristement :
« Je n’ai jamais été une souveraine juste et équitable. J’ai souvent usé de la force et de la cruauté pour accomplir mes objectifs, et même si c’était dans le seul but de vous protéger, de nous rendre prospères, je tenais à m’excuser à vous tous pour ce que je vous ai fait. »
La horde de serpents, de reptiles, et de lézards se prosterna devant la femme et son homologue. Cette dernière se prosterna également, mettant un genou au sol devant la déesse des serpents venimeux. Une créature verte de forme circulaire accompagnée par une autre jaune se coucha en remerciant la créature. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu’elle peinait à articuler quelques syllabes sans aucun sens. Les serpents composant sa chevelure vinrent lui lécher le visage pour la réconforter, mais il n’en était rien, l’émotion avait pris le dessus. Alors elle regagna son sourire. Une expression de paix et de joie immense qu’elle ne put réfréner.
« Merci. Lâcha-t-elle en effusions de larmes de joie. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. »
Elle disparut en quelques secondes de plus, accompagnée par son royaume entier, et tous entrèrent en ascension jusqu’au ciel d’Izrath. Alors je me dirigeai ailleurs, dans les terres de la guilde Yume-Nikki. Là se trouvait le dragon hiératique du roi d’Atum, s’entretenant avec Buster Blader, alors que tous leurs camarades étaient déjà partis.
« Ce fut une belle aventure, n’est-ce pas mon ami ? Lâcha Atum, en fixant le soleil d’Izrath.
– Je n’aurais pas pu demander une meilleure histoire. Lui confirma le guerrier pourfendeur de dragons. Mon seul regret aura été de ne jamais t’avoir ajouté à la liste des victimes de mon épée.
– Tu ne l’aurais jamais fait de toute façon, nous le savons autant l’un que l’autre, toi et moi.
– C’est vrai. Je t’estime bien trop pour ça…Soichiro.
– Adieu, Blue. »
Les deux se fixèrent les yeux dans les yeux pendant quelques secondes. Ils ne lâchèrent pas leur regard complice jusqu’à être emportés par la lumière d’Izrath à leur tour. Je fixai la lumière les représentant monter au ciel tandis qu’ils semblaient refuser la séparation en restant près l’un de l’autre.
Plus rien ne restait ici. Les alentours étaient en train de disparaître. Alors je volai jusqu’au sanctuaire céleste, là où demeuraient les autres Izrathiens en attente de leur dernier jugement. Une fois dans l’enceinte du lieu saint de notre royaume, je me mis à la recherche de toute âme ayant besoin de mon aide.
« Une tournée pour la défaite de Zetsubô ! S’exclama une voix grave et enjouée au-dessous de moi. »
Je jetai un œil. Maximum six était fidèle à son poste dans sa taverne, en train de motiver les habitants d’Izrath y ayant trouvé refuge. Le joyeux barman servit à la vitesse de la lumière des rafraîchissements dont il avait le secret afin de fêter la victoire de l’humanité sur le désespoir, sachant fort bien qu’il allait disparaître. De la musique festive se mit à retentir, tandis que je les fixai de mon œil attendri. Ils firent la ronde en chantant une ode à la vie, se laissant emporter par la mort sans émettre la moindre protestation.
La vie s’était évaporée de l’Underground de Maximus le sixième. Il n’en restait plus rien, si ce n’était les quelques verres qui étaient retombés au sol, éclatés en mille morceaux sur le parquet des lieux. Finalement, je me mis à douter. Avais-je vraiment eu raison de laisser se produire une telle chose au nom de la justice ?
Je ne voulus pas y penser. Il fallait que je continue ma recherche. Et au bout de quelques minutes, j’eus l’occasion de retrouver des autres âmes en leurs derniers instants. Maître Hyperion et sa garde royale composée de Mars, Saturne, et Jupiter, jouaient ensemble. Ils faisaient tous les quatre une partie de cartes, et je pouvais le constater, ainsi que l’entendre, de là où j’étais.
« Quint flush. Lâcha Mars, sous la stupéfaction générale. J’ai enfin gagné une partie !
– Je suis certain que tu as triché. Railla Jupiter. Bizarrement le monde s’effondre, toutes les âmes disparaissent, et tu deviens bon au poker. Je suis certain que ce n’est pas normal.
– La chance du condamné. Grogna le maître Hyperion, visiblement agacé. »
Ils voulurent relancer une partie, mais il était trop tard. Hyperion disparut, suivi par Jupiter. Mars eut à peine le temps de ricaner à propos de ce timing les empêchant d’avoir leur revanche qu’il fut emporté lui aussi, ne laissant que Saturne, seul, au milieu des cartes restées sur place.
Il se leva silencieusement, sans exprimer la moindre émotion. Il se dirigea ensuite jusqu’au dôme d’Izrath, là où se déroulaient les représentations musicales du royaume. Les divas de la musique et les hérauts avaient déjà disparu, et les lieux étaient vides. Ou presque. Majestueusement, sur l’estrade, se tenait Saffira, la reine des dragons. Sa voix de cantatrice soprano résonnait sur la place, me laissant réaliser que c’était elle l’interprétatrice de l’ode à la vie et à Izrath. Saturne se posta dans les gradins, fixant la dragonne d’une émotion palpable.
Elle le notifia au bout de quelques minutes. Elle s’arrêta, le laissant s’avancer vers elle. Lorsqu’il fut lui aussi sur l’estrade, il prit la parole à son intention :
« J’ai toujours aimé vous entendre chanter votre cœur, Saffira. Lâcha-t-il sans gêne aucune, comme pour ne rien regretter. Votre beauté m’a toujours ensorcelé et a été ma source de motivation la plus intense tout au long de cette éternité.
– Je le sais Saturne. Murmura-t-elle, affectueuse. Et je n’aurais jamais pu avoir tant confiance en moi si je n’avais pas eu ce premier supporter m’inondant de bouquets de roses et d’anthémis à chaque concert. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi, mon très cher ami.
– Au-delà de vous remercier, je tenais à vous dire que je vous ai aimé depuis mon premier souffle, Saffira.
– Je t’ai toujours gardé dans mon cœur également, mon cher Saturne. »
Il posa ses lèvres sur les siennes, et à cet instant précis, ils se laissèrent emporter par la lumière de l’ascension. Leurs étincelles ne devinrent plus qu’une, avant de se laisser happer par le ciel.
Là, au coeur du sanctuaire céleste, au palais de justice, un énorme monstre s’éleva, avant de finalement reprendre une forme humaine, celle d’une petite brune au tempérament bien trempé et à l’allure de garçonne.
« Eh la daronne, entama-t-elle désinvolte, il est où le vieux ?
– Parti. Sourit Lily la conseillère télépathique. Il a un peuple sur lequel veiller lui aussi, et il fait de son mieux pour renvoyer les humains restés ici dans leur monde avant la fin.
– Donc on se retrouve entre meufs, ricana Godzilla, enfin, Laetitia. C’est pas si pourri comme fin.
– N’as-tu pas le moindre regret ? S’interrogea sa mère.
– Moi ? Un regret ? T’as cru j’étais une pucelle à l’eau de rose ? T’abuses ma poule, je pensais que tu connaissais ta fille tavu. »
L’infirmière soupira, avant de disparaître dans une lumière étincelante à son tour. Laetitia s’arrêta quelques instants. Elle vérifia que personne n’était autour d’elle, avant de tout simplement laisser les larmes couler sur ses joues. Fixant l’horizon d’Izrath, elle murmura quelques mots que j’étais le seul à entendre.
« Les gars… Daisuke… »
Puis elle disparut à son tour, laissant quelques gouttes étincelantes s’échouer au sol. Elle rattrapa rapidement celle de sa mère qui l’accueilli en son sein. Puis elles disparurent au ciel, laissant derrière elle le tribunal d’Astaris vidé de tous ses avocats, de tous ses juges et greffiers, avant de s’effondrer sous le poids du vide et de l’indifférence.
Cela m’attristait malgré tout. Cela était bien plus facile de l’imaginer que de le vivre. Une douleur me prit à la poitrine tandis que je voyais toutes ces âmes se faire aspirer par ce jugement. Mais je n’eus pas le temps de me remettre en question. Je fus interrompu par deux êtres dévalant les rues d’Izrath. Un kangourou et un chien, tous deux faits d’énergie luminescentes, jouaient ensemble. Complices, ils se coururent après jusqu’à se faire happer à leur tour et devenir des particules de lumière. Cela ne les arrêta d’ailleurs pas, puisque celle du chien poursuivait celle du kangourou dans les cieux.
« Eh oh Akulia !! S’exclama une voix venue de nulle part. »
Je me retournai, me laissant apercevoir ces individus. Borz, Artgorigus, ainsi que les autres chevaliers nobles. Ils me firent tous signe de les rejoindre. Je m’exécutai, arrivant jusqu’à eux en une fraction de secondes.
« Dis donc, tu as mis le paquet pour le feu d’artifices ! S’exclama celui aux cheveux noirs, enjoué. Regarde la belle bleue là-bas !
– Réalises-tu que ce monde est en train d’être détruit !? Grognai-je, exaspéré par sa stupidité.
– C’est ce que nous avons voulu, enchaîna Artgorigus, souriant. Enfin notre vie prend fin, et la leur commence. Il ne faut pas nous en vouloir, maître, nous avons choisi la justice qui nous semblait la plus réaliste, comme vous nous l’avez toujours enseigné. »
Je soupirai. Depuis quand ceux-là étaient aussi compréhensifs et rationnels ? Je les préférais finalement lorsqu’ils passaient leur temps à faire le pitre et à être des tue l’intelligence.
« Dites ! Dites ! Reprit Borz, ne pouvant cacher son excitation. Nous pouvons refaire du Akulia Propulsor !? Nous attendons tous de revivre ces sensations ! »
Je réalisai que finalement, je les préférais avec un minimum de raison. Mais je leur devais bien ça après tout. Ils avaient toujours été mes chers élèves, supporters de mes décisions et de mes missions. C’était à cause de moi qu’ils s’étaient attachés à des humains, encore et encore, jusqu’à sombrer dans la folie. C’était par ma faute qu’ils avaient dû se sceller afin de pouvoir vivre sans entendre les voix de la culpabilité dévorant leurs esprits. Ils étaient tous mes disciples bien aimés, je devais rester avec eux et exaucer leurs désirs jusqu’à notre fin.
Ainsi, j’accédai à la requête de Borz. Ils se mirent tous en ligne, attendant de moi une dernière dose de divertissement. Je m’exécutai, les propulsant d’un souffle de lumière dont j’avais le secret. Drystan fut le premier à se laisser propulser. Il s’évapora au fur et à mesure qu’il atterrissait, jusqu’à devenir une particule de lumière ascendant au même titre que les autres. Chacun leur tour, ils défilaient tous devant moi, me laissant me rappeler de tout ce que nous avions vécu ensemble. Le dernier, Borz, me fixa en souriant d’un air fier et reconnaissant.
« Eh bien, c’est enfin mon tour ! S’exclama-t-il joyeusement. Akulia, c’est ici que nous nous disons au revoir !
– Borz…Murmurai-je, l’intonation à moitié morte. Était-ce vraiment là ce que tu voulais lorsque tu as affronté Zetsubô ?
– Ai-je l’air de regretter mon choix ? Il faut que tu acceptes la réalité, maître. Tout ce que nous avons vécu a été gravé dans mon esprit, et cette fois, nous avons vaincu et nous irons dans l’au-delà en héros !
– Je ne peux m’empêcher que c’est de ma faute pour avoir introduit en vous une idée si triste que de trouver la paix dans la mort.
– Eh bien, nous faisons tous des erreurs. Même la plus haute autorité d’Izrath. Mais ne t’en fais pas, maître, nous ne t’avons jamais tenu rigueur de la cruauté que nous avons constaté en Jidou. Au contraire, avant que tu ne nous recueilles, nous n’étions que des existences faites de ténèbres, sans aucun lendemain. Nous méprisions la vie, l’ordre, les efforts des autres. Grâce à toi, nous avons appris les conséquences de ce que nous détruisions. Nous sommes devenus les chevaliers nobles, avec leurs valeurs, leurs combats, et leurs idéaux…Et pour cela maître, au nom de tous les chevaliers, en l’absence de Mordred, je t’offre ma reconnaissance.
– Borz…
– Ce n’est pas de tout ça, mais je veux vraiment me faire propulser moi ! Enchérit l’homme, sautillant dans son armure grinçante. »
J’accédai à sa requête. Son cri de terreur et d’excitation résonna dans mes oreilles jusqu’à ce qu’il ne s’écrase contre le sol. Contrairement aux autres, il ne s’en alla pas avant de toucher les parois d’Izrath, ce ne fut que lorsqu’il fut écrasé que je croisai son expression paisible. Il me murmura un « Merci », avant de disparaître à son tour.
Des larmes coulèrent le long de mes yeux en repensant à ces lascars qui avaient été mes disciples durant tous ces siècles de bons et loyaux services. Je restai quelques minutes à embrasser ces réminiscences douloureuses qui faisaient se contracter mon cœur chaque fois que je les pensais.
« Merci d’avoir pris soin d’eux. Retentit une voix aigue dans les cieux. Je savais que c’était une bonne idée que de te les avoir confiés après ma disparition.
– Notre engagement est donc rempli…Dame du lac. Murmurai-je. »
L’ombre d’une jeune femme aux longs cheveux blonds passa devant moi avant de se laisser absorber à son tour. Alors je repris mon envol, constatant qu’Izrath était désormais vide. Enfin presque, puisque je sentais encore quelques âmes y vivre. Je fus d’ailleurs rapidement rattrapé par un volatile m’ayant rejoint dans mon envol. L’oiseau aux reflets de rouge, de jaune et de violet, me lança un regard provocateur, souligné par un rictus lui fendant le bec.
« Hoho, voici que je peux faire la course avec le gardien des étoiles pour lui reprendre le trône. Une fois que je t’aurai vaincu, j’appellerai ce royaume Skillzrath ! »
Je souris. Même si mon monde était sur le point de disparaître, je comptais bien en rester le souverain jusqu’au bout. Ainsi, j’acceptai le challenge instauré par le volatile aux couleurs du soleil cramoisi. J’accélérai, le laissant me suivre avec difficulté. Je le semai plusieurs fois, mais il revint à chaque fois me rattraper. Il était déterminé, me raillant de « hoho ! » ou de « tu te calmes ! » chaque fois que je le dépassais. Il arrivait à esquiver tous les obstacles à pleine vitesse, tandis que même moi je me les prenais, avançant qu’il avait prédit chacun de ces murs depuis avril 2014.
Finalement, il réussit à me dépasser. Il me railla en disant qu’enfin Izrath allait avoir un roi ayant du skill, avant de tout simplement disparaître comme tous les autres.
Je m’étais égaré. J’étais presque à la frontière du sanctuaire céleste et des terres de Lithemba. Lithemba dont la destruction était d’ailleurs bien entamée. Il suffisait d’y jeter un œil pour constater que toutes les âmes y étant présentes trouvaient aussi l’ascendance. Mais alors que je me retournai pour continuer à veiller sur Izrath, je fus interrompu par une nouvelle arrivée.
« Cela faisait longtemps Akulia. Railla la voix grave provenant de derrière.
– Eraser…M’étonnai-je. Je te pensais mort.
– Je le serai bientôt ! Rétorqua le dragon en éclatant de rire. Comme nous tous à vrai dire. Sur Lithemba, il ne reste plus grand monde. Je surveille ces lieux jusqu’à la fin, et je cherche ceux qui auront besoin de mon aide pour leur ascension.
– Je vois…exactement comme je le fais pour Izrath.
– Ce n’est pas pour rien que nous sommes frères après tout ! Reprit mon homologue, sérieux. C’est bien notre rôle, de nous assurer que tout se déroule bien dans nos royaumes respectifs, n’est-ce pas ?
– En effet. »
Il passa sa patte pour qu’elle vienne se saisir de la mienne, mais il fut bloqué par le champ de force invisible définissant la frontière entre Lithemba et Izrath.
« Il n’y a qu’en Jidou que j’ai été capable de me saisir de ta patte. Soupira-t-il, triste. Je suis reconnaissant en ce monde pour avoir pu partager de précieux instants en ta compagnie, mon frère…
– Eraser…Ou plutôt, Zehet…
– C’est ma seule haine envers l’ordre de ce monde. Nous faire naître radicalement opposés, dans deux espaces nous empêchant de nous cotoyer. Si seulement j’avais pu franchir cette barrière ne serait-ce qu’une seule fois afin de pouvoir t’aimer comme je voulais le faire, j’aurais été la plus heureuse des créatures. »
Son corps rayonna lui aussi. Je voulus moi aussi franchir ce barrage entre nos sentiments, mais cela était toujours impossible. Mon frère me sourit, me laissant voir au travers de ces yeux de l’amour comme jamais je n’en avais vu jusqu’alors.
« Mais là-haut, nous aurons tout le loisir de nous connaître, Akulia. Je me fiche de mourir, si cela me permet d’être enfin proche de toi. »
Il disparut comme il était arrivé, me laissant une nouvelle fois seul dans l’enceinte du sanctuaire céleste. Je scrutai les environs. Plus personne ne se trouvait aux alentours. J’avais rempli ma mission, cela allait être à mon tour de disparaître éternellement.
Alors je me rendis à la plage, cet endroit que j’aimais tant. Le flux et le reflux des vagues avait un don pour m’apaiser. Chaque fois que j’y plongeais mon regard, mes peurs et mes songes se dissipaient pour ne laisser que de la quiétude. Mais elle n’allait pas durer. Une énorme vague s’abattit sur le sable fin, laissant échouer deux individus ainsi que leurs planches de surf avec eux.
« Yahou ! S’exclama énergétiquement le blond. Sérieusement elle était balaise celle-ci ! Dis mon vieil Astaris, tu comprends maintenant ce que c’est qu’avoir le surf dans la peau !?
– J’aurai besoin de temps pour m’y accommoder maître Zesunis, répondit l’intéressé en ayant la nausée. »
Ces deux-là n’étaient autres qu’Astaris et Zesunis, deux de mes élèves lorsque j’étais encore enseignant à la prestigieuse académie des juges d’Izrath. Les constater dans un tel moment me réchauffa le coeur. Astaris n’avait jamais été le premier à se décider lorsqu’il s’agissait de se jeter à l’eau. C’était d’ailleurs la première fois qu’il acceptait de subir les caprices sportifs de son camarade juge. Je les scrutai affectueusement, me réjouissant de cet instant complice.
« Le principal, c’est d’oublier toute ta fierté ! Enchaîna joyeusement Zesunis. Tu n’es plus un juge, tu n’es qu’un homme, face à la mer, et tu dois la surmonter !
– Je ne suis pas un homme, je suis un Izrathien. Contesta Astaris en gonflant les joues. Ne me considères-tu pas comme tel désormais ? »
Zesunis s’arrêta quelques secondes, face à son camarade qui se cachait le plus possible dans l’eau en ne laissant dépasser que son nez et ses yeux, détournant le regard. Le blond s’avança vers son ami, lui ébouriffant affectueusement la touffe.
« Tu es le plus Izrathien de tous les êtres ayant un jour foulé le sol de cette dimension, Astaris.
– Zesunis…murmura l’intéressé ayant sorti sa tête de l’eau.
– Et c’est pour cela que je trouve qu’il serait mieux que tu reprennes ta forme humaine pour te sauver d’ici avant la fin !! Geint le blond comme un gamin. Allez, il ne te reste plus beaucoup de temps !!
– Je te l’ai déjà dit, Izrath est mon royaume. Vous m’avez recueilli il y a des années, et intégré à vos rangs malgré tout le mal que j’ai fait en instaurant ma dictature…Je resterai avec vous, et je partagerai votre sort.
– C’est si beau !! S’exclama Zesunis en pleurant à chaudes larmes. Dans mes bras mon frère !! »
Il se fit repousser avec gêne, sous prétexte qu’il y avait encore du travail avant que le juge actuel ne puisse maîtriser les terribles vagues d’Izrath. Ensemble ils remontèrent sur leur planche, nageant jusqu’à la terrible épreuve qui fonçait droit sur eux.
Zesunis maîtrisa la vague sans difficulté, tandis que c’était beaucoup plus délicat pour son ami aux cheveux violets. L’actuel juge restait debout avec difficulté, mais au moment où il allait tomber, le blond habitué au sport utilisa son pouvoir afin de discrètement le maintenir debout. Astaris ne s’aperçut de rien. Il constata avec surprise qu’il maîtrisait la discipline.
« J’ai réussi, Zesunis ! Cria-t-il, enthousiaste. J’arrive à rester sur la planche ! »
Son ami le surfeur le fixa affectueusement de derrière. Il l’aimait vraiment, cela se voyait. Il l’appréciait au point d’utiliser des pouvoirs de sa réserve, alors qu’il savait pertinemment que cela le priverait de quelques minutes, dans un moment où le temps était le plus grand des luxes.
Ils restèrent plusieurs dizaines de minutes ensemble, à dominer les vagues, entre amis, entre camarades, entre frères. Je sentais la complicité qui les unissais tous les deux. En les regardant, des réminiscences me surprirent de nouveau. Je les revoyais enfants, jouant ensemble, se disputant pour un oui ou pour un non. Astaris le rigide, Zesunis le joyeux luron…Tandis que le troisième manquait. Lui qui était exilé du sanctuaire céleste et que je n’avais pas revu depuis un moment déjà.
Comment t’en étais-tu sorti ? Avais-tu réussi le pourquoi tu t’étais rebellé contre l’autorité d’Astaris ? Tu étais une personne brillante, et j’aurais aimé que tu puisses utiliser ta force et ta détermination au service d’Izrath dans les bonnes formes, sans avoir à gâcher l’amitié qui te liait à ces deux-là. Mais au fond, tu aurais ri si tu avais su que nous nous étions sacrifiés pour les humains. Tu l’as toujours dit toi-même, que nous étions responsables d’avoir été dans leur monde, et que nous ne devions pas les impliquer dans nos conflits.
Astaris, trop confiant en ses capacités de surfeur, finit par manquer de tomber. Par réflexe, d’une agilité digne d’un nageur olympique, Zesunis le rattrapa avant qu’il ne tombe afin de le replacer debout sur sa planche. Celle du juge actuel divagua tandis que les deux amis finirent sur la même plateforme, à dominer les vagues ensemble.
« Reste bien droit. Déclara Zesunis qui était derrière son ami. Le tout, c’est l’équilibre.
– Tu parles à un grand surfeur, monsieur l’ex-juge, rit l’intéressé. Je te dépasserai aussi en sport si cela continue.
– Tu as tout ce qu’il faut pour me dépasser en tout, Astaris.
– Tiens, tu reconnais enfin que je te suis supérieur ? Ricana l’homme aux cheveux violets, vainqueur. »
Zesunis s’arrêta quelques instants. Il mobilisa d’autres pouvoirs afin de maintenir la planche sur l’eau, avant d’étreindre son ami de derrière lui, sans que ce dernier ne puisse se retourner. Le regard voilé par l’ombre, il prit la parole.
« Depuis que je suis arrivé en Izrath, entama Zesunis, j’ai possédé ce don incroyable : celui de pouvoir mémoriser tout ce que je lisais, et de l’assimiler. A cause de cette capacité qui était la mienne, j’ai réussi à tout apprendre, que ce soit en terme d’intelligence, ou de sport. Mais cela ne suffisait pas. Je ne m’intéressais à rien, puisque tout était trop facile, et personne ne me parlait en conséquence.
Quand tu es arrivé dans ma vie, Astaris, tu as ignoré mon don. Tu t’es mis en tête que tu pouvais me vaincre en travaillant dur, alors qu’au fond mes capacités d’apprentissage surpassaient toutes les tiennes. Tu as accepté de t’entraîner avec moi, en faisant mine d’être mon rival, alors que finalement je suis convaincu que tu as fait tout ça simplement pour me sortir de ma spirale infernale d’ennui perpétuel.
– Zesunis…
– J’ai pu rencontrer Elyaad grâce à toi, et nous nous sommes tous les trois engagés dans l’apprentissage d’Akulia. Vous étiez loin d’arriver à ma cheville, et vous le saviez. Pourtant, votre rivalité, et vos efforts étaient bien réels. Vos réactions, vos surprises, votre amitié…Tout ça a été pour moi une véritable bénédiction. Sans vous, j’aurais sûrement sombré dans les abîmes du désespoir. »
Il marqua une pause. Il déglutit, laissant couler quelques larmes le long de ses joues, avant de reprendre, sérieusement.
« Je t’en supplie Astaris, pars. Tu as été pour moi un cadeau du ciel. Tu as toujours été le seul qui pouvait vraiment me comprendre, me divertir. Tu m’as libéré de ce fardeau appelé talent pour faire de moi un être vivant, au même titre que tous les autres. Alors je t’en conjure, quitte le sanctuaire céleste. Va construire une vie heureuse loin d’Izrath, et sois le témoignage de notre amitié. Et n’oublie pas que là où je serai, je te supporterai toujours, parce que je t’aime du plus profond de mon – »
Il disparut dans une lumière qu’Astaris tenta de saisir, en vain. Seul sur la planche, il n’était plus guidé par la magie de Zesunis, ce qui lui valut de tomber dans la vague qui le ramena sur la rive. Il resta quelques minutes allongé sur le sable fin, fixant le ciel d’Izrath duquel il était le dernier habitant encore en vie.
« Je ne t’arriverai jamais à la cheville…Maître Zesunis. Dit-il en se mordant la lèvre. Tu es un imbécile. C’est toi qui m’as empêché de sombrer dans les abîmes. C’est grâce à ta pureté et ton innocence que j’ai pu surmonter tous mes échecs…Tu resteras pour moi le seul et unique juge de ce sanctuaire. »
Il laissa la planche de surf divaguer jusqu’à disparaître au large. Il fixa le ciel d’Izrath, plongé dans ses pensées. Je finis par le rejoindre, apparaissant à ses côtés pour fixer la mer avec lui.
« Je savais que vous étiez là, professeur. Je vous sentais m’observer.
– Je n’avais pas la résolution suffisante pour briser cet instant entre toi et Zesunis.
– Je comprends… »
Un malaise s’installa entre nous. Astaris ne savait pas quoi dire, et moi je ne pouvais entamer une conversation après une telle disparition. Mais l’heure n’était plus à la tergiversation inutile. Il fallait aller droit au but.
« Zesunis a raison. Il faut que tu retournes sur terre, Astaris. Des tas de personnes ont encore besoin de toi là-bas, et aucun habitant d’Izrath ne voudrait te savoir mort alors que tu as encore un moyen de survivre.
– Je le sais. Me répondit le juge en se mordant la lèvre. Je sais bien que le meilleur choix que je puisse faire, c’est de dire adieu à ce monde et vivre en tant qu’homme. C’est la chose la plus juste à entreprendre. Car il y a sans doute des personnes qui auraient aimé avoir ma place, alors je ne peux pas gâcher cette opportunité. C’est logique, rationnel, un fait. Ce n’est que justice de jouir d’un droit. »
Il marqua une pause, avant de se tourner vers moi, les larmes aux yeux.
« Mais je n’accepte pas cette justice ! S’écria-t-il, sur le point de craquer. Je ne peux pas faire passer les faits avant les émotions comme je le fais d’habitude ! Pourquoi suis-je le seul qui puisse vivre alors que pour ce faire je dois laisser derrière moi toute la vie que j’ai construite en Izrath !? C’est injuste ! Je refuse cette justice ! Je partirai avec vous !
– Zesunis paierait cher pour obtenir les images d’un juge de ta trempe défiant la justice elle-même. Ris-je.
– Malheureusement, j’aurais beau contester ce jugement, personne ne viendra pour en discuter avec moi. C’était simple, pour Hakaze, de dire je défie ton autorité, mais pour moi, il n’y a personne au-dessus à qui me plaindre.
– C’est à Zetsubô qu’il faut se plaindre. Raillai-je. C’est lui et lui seul qui est responsable de cette situation.
– C’est vrai…soupira le juge. Mais alors, que puis-je faire ?
– Prier pour nous ? Cela serait déjà beaucoup je pense.
– En effet. Il n’y a que Dieu pour écouter les prières d’un juge déchu de son autorité. »
Il s’exécuta. Il ferma les yeux, laissant couler ses larmes qu’il retenait en lui jusqu’alors, afin de revenir à l’humilité incarnée par nous tous. Au-delà d’être un juge, un Izrathien, ou un homme, Astaris n’était qu’une existence semblable à toutes celles de ce monde ou des autres, y compris celles ayant un tant soit peu d’autorité ici-bas comme moi ou Eraser. Je pouvais lui faire confiance. Au-delà de sa carcasse rigide, il était le mieux qualifié pour se remettre en question et aller de l’avant. J’étais persuadé qu’il trouverait la meilleure solution afin d’honorer le titre qu’il portait désormais : celui de seul rescapé d’Izrath.
Tandis qu’il murmurait une prière à son créateur, en fermant les yeux, je me sentis disparaître à mon tour. Étant l’Izrathien possédant la plus grande réserve magique, et en étant le régisseur, il était normal que je sois le dernier à m’évaporer de ce monde. Était-ce ma punition pour avoir poussé Zetsubô jusqu’à ce stade, ou tout simplement, une ultime réminiscence pour me réconforter ? Je n’en avais aucune idée, mais une chose était certaine : notre sacrifice allait définitivement écrire une page de l’histoire. J’en avais la prémonition, non, la certitude.
« Merci d’avoir accepté de t’investir en notre monde Astaris…lui murmurai-je. Izrath te sera éternellement reconnaissant, pour tout ce que tu as fait. »
Je m’évaporai sans pouvoir entendre sa réponse, laissant mon esprit en ascendance jusqu’aux cieux, afin de rejoindre mon peuple dans cette nouvelle étape à laquelle ils devaient faire face.
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